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/fûê
LA
GESTION ADMINISTRATIV
AUTRES OUVRAGES DE M. HAURIOU
t
Étnde sur la décentralisation, 1 brochure in-8% 1892 (Paul
Dupont) 2i50
La Science sociale traditionnelle, 1 volume io-8<^, 1896
(Larose, éditeur) 7 50
Précis de droit administratif, 1 volume iQ-8<», 3o édition,
1897 (Larose, éditeur) 12 -
Étnde snr le Droit administratif Français, 1 brochure in-8<»,
1897 (Paul Dupont) 8 50
Leçons snr le monvement social, 1 volume in-8<», 1899
(Larosb, éditeur) 4 »
BAR-LE-DUC. — IMPRIMERIE CONTANT-LAGOERRE.
LA
ÉTUDE THÉORIQUE
DE DROIT ADMINISTRATIF
PAR
MAURICE HAURIOU
PR0FES8BUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE
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PARIS
UBRMRIE DE U SOCIÉTÉ DD RECUEIL GÉNÉRAL DES LOIS & DES ARRÊTS
FONDÉ PAR J.-B. SIREY, ET DU JOURNAL DU PALAIS
Anoienne Maison L. LAROSE & FORGEL
22, Tue Sov.jgHot, 22
là. LAROSE, Directeur de la Librairie
1899
1 1' \^^'^
AVERTISSEMENT
On a souvent défini le Droit administratif « celui qui
règle les rapports de Tadminislration et des adminis-
trés », et Ton a eu tort de ne pas s'arrêter uniquement à
cette définition. L'expression « rapports » a paru trop
\ague. On n'a pas songé qu'il s'agissait sans doute de
« rapports sociaux » et, qu'en effet, il pourrait bien
exister entre l'administration et les administrés « une cer-
taine forme de société ».
Il n'y a aucune difficulté à envisager sous cet aspect
les relations administratives. L'administration se ramène
à l'activité d'un certain nomj^re de personnes morales,
l'État, les départements, les communes, les établissements
publics; cette activité est mêlée à la nôtre, elle a pour
objet l'exécution de services publics qui sont pour notre
bien. Ces êtres moraux par leur police veillent sur notre
sécurité, sur notre repos, sur notre santé; par leurs tra-
vaux publics et leurs gérances diverses, ils contribuent
à notre bien-être et à notre fortune; nous vivons en eux
enveloppés de leur protection et de leur grâce. Eux, de
leur côté, vivent en nous, pous leur fournissons l'impôt de
l'argent et celui du sang et toutes sortes d'obéissances;
H. a
349616
II AVERTISSEMENT.
bien mieux, par le régime électoral nous contribuons à
constituer leurs éléments organiques. Comment qualifier
cette union étroite entre des êtres, cet échange de ser-
vices, si ce n'est du nom de société?
Certes, on prend par là le contrepied du paradoxe
économique qui considère les gouvernement et les admi-
nistrations comme des organes improductifs et parasi-
taires, comme des formes redoutables de l'exploitation de
l'homme par l'homme. Mais on est revenu depuis long-
temps de ce paradoxe. Vrai, peut-être, des administrations
rudimentaires ou de celles qui suivent les annexions vio-
lentes et les colonisations lointaines, il ne l'est point des
administrations des grands États modernes. Elles ont
leurs imperfections, mais dans l'ensemble elles sont orien-
tées vers le bien public, par conséquent, leurs efforts
convergent avec ceux des administrés et de cette action
parallèle il peut naître une société. D'ailleurs, si cette so-
ciété paisible ne s'était pas établie, si l'administration avait
conservé l'attitude d'un oppresseur et l'administré celle
d'un réfractaire, comment les services publics auraient-ils
pu s'étendre continuellement, aborder des opérations de
plus en plus délicates dont l'exécution régulière demande
la bonne volonté de l'administré autant que celle du
fonctionnaire?
Nul doute donc qu'elle n'existe cette société entre les
administrés et l'être moral administratif et qu'elle ne de-
vienne de jour en jour plus intime; nul doute qu'elle ne
tende à constituer la base des droits réciproques de la
puissance publique et des citoyens qui, à d'autres épo-
ques, ont pu se réclamer d'autres fondements. Toutefois,
pour faire entrer d'une façon profitable cette idée dans la
AVERTISSEMENT. III
science du droit, il importait de saisir en un point précis
la formation de cet état de société spécial et de grouper
autour de ce fait un nombre suffisant de théories juridiques.
J'ai choisi, à cet effet, la théorie de la gestion adminis-
trative, c'est-à-dire, de Texécution des services publics. Je
crois avoir démontré qu'il s'établit dans la gestion, d'une
façon nécessaire, une collaboration entre l'administration
et le milieu administrable. D'une part, des vérités scien-
tifiques qui trouvent leur application en matière sociale
nous enseignent que tout travail est coopératif, or, l'exé-
cution des services publics est le résultat du travail de la
puissance publique. D'autre part, des analyses minu-
tieuses confirment qu'en effet,^ dans tous les cas de ges-
tion, on découvre une coopération. Le fonctionnaire, le
fournisseur, l'entrepreneur, le contribuable, le conscrit,
le simple administré sont, en des occasions innombrables,
des collaborateurs de l'administration. A côté de la Puis-
sance publique qui commande, apparaît celle qui gère la
vaste entreprise coopérative des services publics ; dans la
gestion administrative, le caractère coopératif se révèle
avec la même évidence que dans la production écono-
mique; il explique une forme de société très étroite, la
naissance de droits subjectifs des administrés et la création
d'un contentieux de la pleine juridiction qui est le plus
large qui puisse exister entre l'administré et l'administra-
tion.
Je n'insisterai pas sur les conséquences diverses de
cette théorie de la gestion, je les ai suffisamment déve-
loppées dans le corps du travail. J'observerai seulement
qu'elle se recommande par deux avantages principaux.
Le premier est qu'elle peut mettre fin à la crise que
IV AVERTISSEMENT.
subit le Droit administratif français. Depuis un certain
nombre d'années Taxe de celui-ci s'était déplacé ; il avait
abandonné les régions où s'exécutent les services publics
pour se porter vers celles où s'élaborent les décisions de
principe de la puissance publique; en d'autres termes, il
avait incliné vers l'acte de puissance publique et le con-
tentieux de l'annulation, désertant le contentieux de la
pleine juridiction ; la théorie de la gestion permettra, je
crois, de revenir è une situation plus normale, car il n'est
pas naturel que ce qu'il y a de plus réel dans l'adminis-
tration, l'exécution des services publics, n'occupe pas la
place principale dans le Droit administratif.
Un second avantage, corollaire du premier, est que le
Droit administratif une fois solidement établi dans la ges-
tion et dans le contentieux de la pleine juridiction comme
dans son élément propre, la jurisprudence et la doctrine
pourront travailler à réduire le domaine du contentieux
de l'annulation au profit du contentieux de la pleine juri-
diction en développant constamment le point de vue de
la gestion; de la sorte, le Droit administratif enrichira la
liste des droits acquis des administrés et augmentera leur
efficacité, ce quif après le bon fonctionnement des services
publics, est le bénéfice le plus appréciable que l'on doive
attendre de la société contractée avec l'administration.
« •.■ •
» >
LA.
GESTION ADMINISTRATIVE
§ 1. — La notion de la gestion administrative.
Le besoin de grouper systématiquement certains faits
administratifs autour de Tidée de gestion s'est manifesté à
une époque relativement récente. Il est né de constata-
tions faites au cours d'études approfondies sur la théorie
des actes d'administration et sur celle des actions en in-
demnité contre l'Etat. On a été amené à distinguer les
actes d'administration en actes d'autorité et en actes de
gestion W; on s'est aperçu aussi que si la jurisprudence
(1) V. Dareste, La justice adm, en France, V^ édit., 1862, p. 222;
Gautier, Précis des matières adm, ^ 1880, t. II, p. 192; Ducrocq, Cours
de droit administratif ^ 6® édit, 1881, t. I, n**^ 111, 208, etc.; Lafemère,
Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, éditions
de 1887 et de 1896, livre préliminaire, chap. I, § 1 ; livre III, chap. I,
§ 2 (des matières dont la compétence est interdite à Tautorité judiciaire)
€t tout le livre VI consacré au contentieux de l'annulation. — Répertoire
de Béquet, v° Contentieitx, n° 215 (1891). — Mon Précis de droit adminis-
tratif, 2° édit., 1893, p. 193. — Brémond, La compétence administrative,
1894, n<>« 225 et s. -- Mon Précis de droit administratif, 3e édit., 1897,
p. 271 et s., 276 et s. — Ducrocq, op, cit., 7« édit., 1898, t. II, n<»« 423
«t 427, Cfr. Dareste, op. cit., 2'' édit., 1898,
H. 1
•» • . _ .
, : hÂ.' G3STI0N ADMINISTRATIVE.
accorde des iDdemnités pour les préjudices causés dans
la gestion administrative, elle refuse d'en allouer pour
ceux qui sont la conséquence d'actes d'autorité (0; de là
on a conclu qu'il existe deux modes d'activité de l'adminis-
tration, l'un qui est la voie d'autorité, l'autre qui est la
voie de gestion. Distinction d'autant plus intéressante que
le contentieux de l'annulation semble attaché aux actes
d'autorité, tandis que celui de la pleine juridiction serait
réservé aux actes et aux situations de gestion (2).
Mais il y a eu jusqu'ici plutôt une tendance instinctive
(1) V. Lafemère, op, cit., livre III, ch. IX, édit. de 1887 et de 1896. —
Michoud, De la responsabilité de VÉtat à raison des fautes de ses agents ^
1895 ; De la responsabilité des communes à raison des fautes de leurs agents^
1897.
(2) Cette observation n'a été ' formulée bien nettement par aucun
auteur. M. Lafemère dit cependant ceci dans sa deuxième édition,
t. 1, p. 17 : € Lorsque les actes et décisions de Tadministration ont le ca-
^ ractère d'actes de commandement et de puissance publique, ils ne peu-
cc vent pas être révisés et réformés par la juridiction administrative ; ils
« ne peuvent qu'être annulés... le seul recours qui puisse être dirigé
« contre les actes de cette nature est le recours à fin d'annulation qui
<3C porte le nom de recours pour excès de pouvoir. » A la p. 15 il y a
comme contre-partie une énumération des principaux cas de contentieux
de pleine juridiction ; ce sont tous des cas de gestion (contrats adminis-
tratifs, débats sur des obligations pécuniaires de l'Etat, sur des opérations
administratives qu'on ne sait comment nommer) ; il n'a manqué à M. Laf er-
rière qu'une théorie de la gestion pour formuler lui-même explicitement
l'opposition établie au texte. D'ailleurs, il faut faire grande attention
pour la séparation des deux contentieux au jeu de la fin de non-recevoir
tirée du recours parallèle^ bien connue dans la matière du recours pour
excès de pouvoir. En fait, le recours pour excès de pouvoir n'est jamais
déclaré recevable contre un acte de gestion, parce que toujours il existe
un autre recours qui est le recours contentieux ordinaire ; par là même le
contentieux de l'annulation est réservé aux actes d'autorité. Cfr. mon Pré-
cis de droit adm,, 3® édit., p. 312. — Il est naturel que vis-à-vis des
actes d'autorité le juge n'ait que des pouvoirs d'annulation et que vis-à-
vis des actes de gestion il ait des pouvoirs plus étendus, puisque, quelque
soit son véritable caractère, il est certain que la voie de gestion contient
moins de puissance publique que la voie de commandement. Ces proposi-
tions se trouveront avérées pac les développements qui vont suivre.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. S
T
de la jurisprudence et de la doctrine à créer une caté-
gorie de la gestion, qu'un effort raisonné pour en organiser
la théorie. Aucune ntionographie n'en a été tentée. La
notion même et la définition en sont restées flottantes.
Tout d'abord on a été frappé de cette considération que
la voie d'autorité et la gestion se partagent laction admi-
nistrative; on a pensé dès lors qu'il suffirait de déterminer
directement l'une des deux voies, l'autre se trouvant définie
par là-même et a contrario. La voie d'autorité a quelque
chose de facilement saisissablé, on a cherché en elle le
point de départ, on a dit : il y a commandement ou il n'y
a pas commandement, lorsqu'il n'y a pas commandement
il y a gestion. Écoutons M. Laferrière : i< L'administration
« est dépositaire d'une part d'autorité, de puissance, qui est
« un des attributs du pouvoir exécutif. Elle est chargée de
« faire exécuter les lois, d'édicter les prescriptions secon-
« daires destinées à assurer leur application, de régler la
« marche des services publics et de procurer aux citoyens
« les avantages d'une bonne police; elle intervient par voie
« de prescriptions générales ou individuelles, d'injonctions
« ou de défenses; l'administration agit alors comme auto-
ce rite, comme puissance et ses actes sont dits actes de com-
« mandement ou de puissance publique » (*). Et maintenant
la gestion administrative comprendra les cas où l'adminis-
tration n'agit pas comme autorité et où les actes ne sont pas
de commandement; c'est ce que nous enseigne M. Mi-
choud : (( Dans la commune, comme dans l'État, il faut
« distinguer les actes de gestion et les actes d'autorité. Les
« premiers sont ceux dans lesquels le représentant de la
« commune n'exerce pas la puissance publique qui lui ap-
« partient, ils comprennent tous les actes dans lesquels
(1) Juridict, adm.^ 2® édit., I, p. 5. Cfr. Michoud, De la responsabilité
de VÉtat à raison des fautes de ses agents, n**" 4, 26, 44 ; De la responsabi-
lité des communes^ ii° 12. — Brémond, Traité de la compétence, n° 226. —
Jacquelin, Principes du contentieux administratif p. 83 et s.
4 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
« il n'y a ni infraction, ni prohibition, ni autorisation de
« police » (*).
Toutefois, les mêmes auteurs qui nousdonnaient ainsi une
notion purement négative de la gestion administrative
sentaient les inconvénients de ce procédé et cherchaient
à mieux faire. Il leur sembla d'abord que d'une façon
positive Tadministration de la fortune de TËtat pouvait
être considérée comme constitutive de la gestion. C'est la
première idée à laquelle s'était arrêté M. Laferrière dans
un passage dont nous avons cité plus haut un fragment et
que nous complétons : « L'autorité administrative est char-
« gée de veillera la gestion de la fortune publique et à son
« emploi, d'assurer la perception des revenus de toute na-
(( ture destinés à pourvoir aux charges communes et leur
« afiTectation aux services publics. Les actes qu'elle accom-
« plit pour remplir cette mission sont ceux que l'on appelle
(( actes de gestion » (2),
L'idée n'était point fausse, si, peut-être, elle était étroite;
il y a longtemps que le langage de la comptabilité publi-
que qualifie de gestion l'exécution par les comptables
des opérations financières (3); d'un autre côté, il se dessine
facilement dans l'esprit une opposition entre l'administra-
tion obtenue par des moyens de police et celle qui est ob-
tenue par des moyens d'argent. Mais, à la réflexion, on
devait se demander si les opérations financières, ou même
si les actes d'administration patrimoniale, épuisaient réel-
lement tous les cas où l'administration n'agit point par
voie d'autorité; si par conséquent la notion positive de la
gestion que l'on proposait, tenait toute la place laissée libre
par l'absence de la voie de commandement. M. Lafer-
(\) Delà responsabilité des communes à raison des fautes de leurs agents,
11° 12.
(2) Op. cit., I, p. 5. — Cf r. Macarel et Boulatignier, Tableau de la fortune
imblique de la France^ I, p. 4-5; II, p. 505. — Gautier, Dareste, Du-
crocq, loc, cit, — Brémond, op, cit.y n° 226. — Jacquelin, op, cit., p. 83 et s.
(3) D. 31 mai 1862, art. 3 ; D. 12 juiUet 1893, art. 3.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 5
rière lai-même semble avoir éprouvé des doutes, car
dans d'autres passages il arrive à une conception plus
large : « les actes de gestion sont ceux que Tadministra-
« tion accomplit en qualité de gérant et d'intendant des
« services publics ». « Il y a des actes de gestion faits en
c( vue des services publics » W, La différence est grande,
il ne s'agit plus seulement d'une intendance financière,
mais d'une intendance des services publics. Toutefois l'au-
teur qui a le plus nettement élargi la notion de la gestion
au delà de l'administration patrimoniale est M. Michoud.
Il note à plusieurs reprises que les actes de gestion peuvent
consister en l'exécution d'un service public (2).
Ainsi la gestion serait l'exécution même des services pu-
blics, qu'elle soit ou non assurée par des moyens financiers
ou patrimoniaux. On entrevoit ici une idée nouvelle qui
tout de suite frappe par sa justesse, c'est que l'administra-
tion apparaît tantôt comme un pouvoir qui s'affirme, tantôt
comme un service, c'est-à-dire un travail, qui s'accomplit.
(1) Op,cit,j I, p. 485. Observions toutefois que les exemples qui suivent
dans le texte tendraient à nous ramener à la gestion patrimoniale, le chan-
gement de point de vue est bien plus net, II, p. 187, où il s'agit certaine-
ment de faits de service.
(2) Nous restituons intégralement ici un passage que nous avions été obli-
gés de tronquer : « dans la Commune comme dans l'Etat il faut distinguer
« les actes de gestion et les actes d'autorité. Les premiers sont ceux dans
« lesquels le représentant de la commune n'exerce pas la puissance publi-
« que qui lui appartient, ils comprennent non seulement les actes d'admi-
« nistration du patrimoine privé communal, mais tous les actes dans les-
« quels il n'y a ni injonction ni prohibition, ni autorisation de. police, alors
« même qu'ils seraient accomplis en vue d'un service public. j> (Responsa-
bilité des communes, n® 12).
Notons à titre de curiosité que Macarel et Boulatignier déjà en 1840
s'étaient élevés jusqu'à cette large compréhension, car ils disaient à propos
des chemins : « il est tout simple d'en remettre la garde, la police, la ges-
« tion enfin à la puissance publique. » Fortune de la Finance, I, p. 31.
Ainsi la police elle-même, envisagée d'une certaine façon, peut devenir une
gestion. M. Aucoc emploie, lui aussi, l'expression : « gestion du service pu-
« blic, » dans un passage sur lequel nous aurons occasion de revenir. Con-
fér., I, p. 486.
6 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
On pourrait dire qu'elle a tantôt un aspect politique,
tantôt un aspect économique, s*il était vrai que Texécutioa
des services publics eût pour but unique le développement
de la richesse. La gestion serait alors, en un sens large,
« l'administration économique du pays » ; aon plus celle qui
emploie comme moyen la manutention de la fortune pa-
trimoniale de rÉtat, mais celle qui a pour but le dévelop-
pement général de la fortune publique par le bon fonc-
tionnement des services, par une bonne police, une bonne
justice, une bonne instruction publique, une bonne diplo-
matie, aussi bien que par de bonnes finances. Mais bien
que notre état social soit, de plus, fondé sur la richesse, bien
que la chose publique nous apparaisse, de plus en plus,
comme une entreprise nationale, de commerce, d'industrie
et de finance, je ne crois pas qu'en réalité le travail d'exé-
cution des services publics produise uniquement un résultat
économique. Je crois qu'il contribue aussi, par la centra-
lisation qu'il crée, à constituer et à maintenir l'unité poli-
tique du pays. Je me contente donc d'avoir indiqué un
rapprochement possible pour mieux faire comprendre ma
pensée, mais je n'insiste pas et je reviens simplement à
celle proposition : il y a dans l'administration, tantôt un
pouvoir qui s'affirme, tantôt un travail qui s'accomplit.
Cette proposition, quoique frappante, ne nous fournit ce-
pendant niiin critérium sensible qui nous permette de dis-
cerner en fait les actes de gestion, ni une explication des effets
juridiques delà gestion. Dans quels cas les actes de l'admi-
nistration doivent-ils être vus plutôt du côté du travail qui
s'exécute que de la puissance qui s'affirme? Et, d'autre part,
pourquoi, lorsque le point de vue de la gestion domine,
existe-t-il un contentieux de pleine juridiction, c'est-à-dire
un contentieux plus large que celui relatif aux actes d'au-
torité? nous n'en savons rien encore.
On pourrait être tenté de s'arrêter à cette explication :
le travail administratif est dans l'intérêt des administrés,
voilà pourquoi il y a un contentieux large, l'exercice de la
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 7
puissance publique est dans l'intérêt de la puissance pu-
blique elle-même, voilà pourquoi il n'y a qu'un conten-
tieux étroit. Cela n'est point tout à fait faux, cela est une
façon d'interpréter les effets de la gestion, mais cela ne fait
que reculer la difficulté et ne nous fournit toujours pas la
réponse à celle question capitale, primordiale : quand y a-
t-il plutôt travail administratif qu'exercice de la puissance,
c'est-à-dire quand y a-t-il situation de gestion ou acte de
gestion? Quel est le critérium de l'administration qui tra-
vaille?
J'avoue avoir été mis sur la voie de la solution par des
études d'ordre général, qui n'ont rien de spécialement
administratif. Sil'on envisage la puissance publique comme
une force sociale, ce qui est légitime, on est conduit à dis-
tinguer deux états de cette force, l'état de repos et celui
de mouvement. L'état de repos, ou plus exactement, de
puissance, n'est pas exclusif de tout acte, il se manifeste au
contraire très bien dans Tacte de commandement, dans le
jussus ; l'état de mouvement, de son côté, est tout simplement
celui où s'accomplit le travail administratif, une force en
mouvement est une force en travail. Or, il est un phéno-
mène remarquable dans les forces sociales en mouvement
et en travail, c'est que leur travail s'accomplit avec la col-
laboration du milieu. Je n'ai pas à développer ici cette pro-
position dans sa généralité, je n'ai pas davantage à détailler
les analogies qui permettent de soupçonner cette collabo-
ration du milieu dans toute production de travail méca-
nique W, j'ai seulement à démontrer sa réalité en matière
de gestion administrative. J'avance, sauf à le prouver, que
le critérium de la gestion administrative est la collabora-
tion des administrés à l'action administrative, parce que
cette collaboration est signe de l'accomplissement du tra-
vail d'exécution des services publics (2).
(1) Cfr. mes Leçons sur le mouvement social^ 2® leçon.
(2) Voilà dix ans que je cherchais une bonne théorie de la gestion eu
8 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
On sent tout de suite la réalité de cette collaboralioD
du milieu administrable à Taction administrative; on voit
bien qu'il y a des cas où la volonté de Tadministrateur
tend à s'imposer par sa seule énergie, qu'il en est d'autres
au contraire où elle est accompagnée d'un concours de vo-
lontés qui facilite sa tâche; on s'aperçoit que la volonté
administrative, après s'être affirmée dans une décision de
principe qui est un acte ^'autorité, ne s'exécute réellement
et n'entre dans le travail administratif que lorsqu'elle a
ensuite engendré un acte de gestion grâce à quelque col-
laboration (*) ; on entrevoit aussi que cette différence dans
les circonstances de l'acte est de nature à entraîner des dififé-
rences dans ses effets juridiques, car les relations de com-
mandement ou de subordination ne sont point les mêmes
que celles de coopération (2); mais il est besoin de s'éclairer
et de se convaincre par de multiples analyses, qui sans
doute révéleront des aspects intéressants des institutions
administratives et provoqueront des réflexions utiles.
Il convient, dans la revue assez longue d'hypothèses
diverses que nous allons entreprendre, de distinguer entre
la situation de gestion qui se crée par l'exécution même du
service public, qui produit des effets juridiques notamment
combinant les données fournies jusqu'ici par la science administrative ; je
ne Tai trouvée qu'en allant chercher dans la science sociale une idée nou-
velle. Dans ces conditions, on voudra bien ne pas me reprocher les opi-
nions approximatives que j'avais émises dans les diverses éditions de mon
Précis de droit administratif sur l'acte de gestion et sur le contentieux
de pleine juridiction ; il y avait bien une direction dans mes tâtonne-
ments, mais il serait maintenant sans intérêt d'en parler,
(1) J'avais remarqué dès longtemps que l'acte de puissance publique
ou d'autorité est toujours accompagné d'un acte de gestion qui V exécute; -
V. mon Précis, 3« édit., p. 289).
(2) On observera que dans les études sociales et spécialement dans les
études économiques, la distinction des rapports sociaux en rapports de su-
bordination ou de coopération est considérée en effet comme ayant une
importance majeure. La répartition des richesses, notamment, trouve son
fondement dans la coopération à la production.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 9
en matière d'action en indemnité pour préjudice cauSé, et
Vacte de gestion qui est un acte d'administration séparé,
constituant par lui-même un fait de gestion.
1. Pour que la situation de gestion établie par l'exécu-
tion du service public se révèle à nous sous la forme d'une
collaboration, il faut introduire l'élément du temps ou de
la durée. 11 s'agit, en effet, d'une collaboration de fait qui
ne peut s'établir qu'en fait (*) et par l'habitude, qui d'ail-
leurs, n'est nécessaire au travail administratif qu'autant
que celui-ci doit être régulier et durable. La gestion d'un
service public, c'est l'exécution prolongée et continue du
service. La comptabilité publique a sur ce point des notions
d'une précision remarquable : « Les services financiers
« s'exécutent dans des périodes de temps dites de gestion
« et d'exercice. — La gestion embrasse l'ensemble des
« actes d'un comptable, soit pendant l'année, soit pendant
« la durée de ses fonctions — l'exercice est la période
« d'exécution des services d'un budget » (D. 31 mai 1862,
art. 2-4). Partout l'idée de durée et de période de temps (2).
La situation de gestion peut d'ailleurs s'établir par la
collaboration de la volonté administrative avec des élé-
ments différents du milieu, les administrés proprement
dits ou les fonctionnaires.
1° Dans une administration régulièrement ordonnée,
les fonctionnaires de carrière deviennent des collabo-
rateurs de la volonté administrative, ils coopèrent au fonc-
tionnement général de la machine. Le fonctionnaire qui,
à certains égards, au point de vue de la hiérarchie et de la
(1) Ce fait cependant est conforme à Tordre légal et c'est pourquoi il
produira des effets juridiques. V. § 3.
(2) Il y a cette différence entre la gestion du comptable et Texercice
financier, que la gestion du comptable est l'exécution du service envisagée
au point de vue subjectif de la responsabilité du fonctionnaire, tandis que
l'exercice financier est Texécution du service envisagée objectiment au
point de vue de la réalisation du budget. Mais, gestion du comptable et
exercice financier, sont deux formes de la gestion du service financier.
10 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
discipline nécessaires, est un subordonné, qui, au point de
vue de la délégation de la puissance publique daus un
acte déterminé, est un instrument; le même fonction-
naire, envisagé dans l'habitude et la régularité de sa fonc-
tion, est un collaborateur de la puissance publique, et,
comme on dit, « un vieux serviteur ». De là le caractère
particulier de la situation personnelle du fonctionnaire.
Il n'est point, ainsi qu'on l'a prétendu longtemps, dans une
situation contractuelle vis-à-vis de l'administration (0 ; il ]
est bien dans une situation purement légale ou réglemen- I
taire; il est, en vertu de la nomination acte de puissance
publique, concessionnaire d'une fonction publique dans ,
des conditions déterminées par les statuts de cette fonction,
qui est en soi chose domaniale, inaliénable et imprescrip- i
tible(2); mais en même temps en sa qualité de collabora- !
teur il est dans une situation de gestion. Cela lui permet
d'acquérir certains droits protégés par un contentieux de
pleine juridiction, par exemple le droit au traitement pour
les services faits et le droit à pension. S'il est révoqué et
s'il introduit une demande en indemnité, cela fait que le
contentieux créé sur cette demande est de pleine juridic-
tion (C.-E., Cadot, 13 déc. 1889; Drancey, 28 mars 1890;
Wottling, 29 avr. 1892) W. Enfin, si des garanties lui sont
concédées par la législation contre le déplacement ou la ré-
vocation, cela fait que ces garanties lui constituent un état
et lui confèrent sur tel ou tel élément de sa fonction une
sorte de propriété (propriété du grade de l'officier, du siège
(1) Il n'est lié ni par un contrat de droit privé, ainsi que Tont enseigné
Dareste, La Justice administrative^ V" édit., 1862, p. 372. Cfr. 2« édit.,
1898 ; Perriquet, Contrats de l'État^ p. 444, ni par un contrat de droit
public, suivant la théorie en faveur aujourd'hui en Allemagne. — V.
Kammerer, La fonction publiqiie d'après la législation allemande. Paris,
1898, p. 88 et s., et in/rà, le § 3.
(2) Cfr. Laferrière, Jurid. adm,y 1. 1^ p. 619, et mon Précis^ 3® édit.,
p. 685 et s.
(3) Cfr. la note dans Sirey, 92, III, 17.
:«\
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 11
du magistrat, de la chaire du professeur, de Toffice minis-
tériel, etc.).
Cette idée profondément juste que le fonctionnaire
est dans une situation de gestion n'a pas produit encore,
à mon avis, tous ses effets logiques, sans doute parce
qu'Ole n'était pas complètement dégagée. Je serais heu-
reux que Tun des premiers résultats de rétablissement
d'une théorie raisonnée de la gestion fût l'amélioration de
la condition si précaire du fonctionnaire français. Notam-
ment, dans le cas de révocation intempestive ou injuste,
je crois que le juge administratif pourrait accorder des
indemnités, non pas en se fondant sur l'art. 1780, C. civ.,
parce qu'il n'y a pas contrat de louage de services, mais en
invoquant l'idée de collaboration et de gestion. Déjà un
pas a été fait dans cette voie, puisque les arrêts Cadot et
suivants ont déclaré le recours recevable, mais la receva-
bilité ne suffit pas, il faut la réussite au fond. Le juge
administratif s'est saisi de l'instrument, il a manié le con-
tentieux de pleine juridiction, il faut maintenant qu'il
l'utilise et qu'il serve « aux vieux serviteurs » autre chose
que des noix creuses. De l'indemnité de révocation il pour-
rait ultérieurement passer à l'indemnité de déplacement (*).
2° La situation de collaboration et par conséquent de
gestion s'établit en second lieu vis-à-vis des administrés et
cela dans des hypothèses multiples :
A. 11 est certain, d'abord, qu'aucun service administratif
continu ne saurait fonctionner régulièrement sans le con-
cours du public. C'est pour cela qu'une administration
compliquée n'est possible qu'à un degré de civilisation
assez avancé pour que l'ensemble des individus comprenne
Tutilité des services et se plie spontanément à leurs exi-
gences. On peut exprimer la chose en disant que la marche
d'une administration complexe exige un grand respect de
(1) Les fonctionnaires de l'empire allemand sopt tous en principe
nommés à vie et en cas de déplacement reçoivent bonification des frais de
déplacement (L. 31 mars 1873, § 2 et § 23).
12 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
la légalité. C'est la même idée sous une autre forme, car
TobéissaDce volontaire à la loi est encore une facoa de
coopération à Tordre public. Mais si le concours du public
facilite la tâche de Tadministration, en retour il impose à
celle-ci des obligations. Celte habitude que les adminis-
trés ont prise du service public est basée sur la croyance
qu'ils ont que ce service est convenablement surveillé, il
s'établit une mutuelle confiance, une bona fides. L'admi-
nistration compte sur la bonne volonté de l'administré,
l'administré, de son côté, compte sur le zèle et la diligence
de l'administration. Il ne faut pas que celte confiance de
l'administré soit déçue. Là est la base première de l'obli-
gation d'indemnité qui naît à la charge de l'administration
au cas d'accident dans le fonctionnement du service (*).
Cette obligation se réalise, à mon avis, sous laforme d'une
assurance contre le risque administratif, non pas du tout
par la théorie des fautes ni par le principe de la respon-
sabilité du commettant; en effet l'obligation est très large,
elle embrasse tous les accidents et non pas seulement les
préjudices qui proviennent de fautes (2).
Quoi qu'il en soit, la jurisprudence administrative ac-
corde ou refuse l'indemnité suivant que le fait domma-
geable peut ou non être rattaché à l'exécution des services,
à la gestion et, finalement, suivant qu'on peut ou non
admettre qu'en l'administré il touche un collaborateur.
Lorsque par exemple un particulier confie à un ministre
plénipotentiaire le dossier d'une affaire en vue de ré-
clamations à présenter à un gouvernement étranger; en
(1) Cette obligation n'est donc pas, ainsi que le prétend la théorie de
Zachariœ, la contre-partie de l'obligation d'obéir imposée à l'administré,
ce qui placerait justement la question sur le terrain de l'acte d'autorité ;
c'est la contre-partie de la collaboration, ce qui place la question sur le
terrain de la gestion. La théorie de Zachariae très suivie en Allemagne se
trouve dans Zeitschriftfur staatswisaenschaft^ 1863, p. 582 et s. Cfr., Mi-
choud, Responsahilité de TÉtat^ n°49.
(2) Cfr. Mon Précis, 3« édit., p. 174 et s.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 13
tant que le fonctionnaire prend la garde du dossier, il s'é-
tablit une situation de gestion, parce que le particulier n'a
fait que procurer au service diplomatique Toccasion de
fonctionner et par conséquent a coopéré à son fonctionne-
ment, si donc le dossier est égaré il y a obligation d'in-
demnité; mais, entant que le ministre plénipotentiaire
soutiendra ou renoncera à soutenir la réclamation du na-
tional, il y a acte d'autorité, ici la puissance publique
n'accepte plus la collaboration, elle agit seule et quelle que
soit sa décision, quelles qu'en soient les conséquences pré-
judiciables, il n'y a pas lieu à indemnité. Le service a
fonctionné par la collaboration, mais la décision à laquelle
il a abouti reste en dehors de ce fonctionnement et de cette
collaboration (*).
Certes, dans ces matières, la distinction des cas où il y
aura gestion de ceux où il y aura acte d'autorité sera fine
et délicate, mais je crois qu'elle sera beaucoup facilitée
par le critérium de la collaboration. Ainsi, dans les ser-
vices de la police d*Etat il n'est pas admis en principe par
la jurisprudence qu'il y ait lieu à indemnité pour l'acci-
dent administratif, le conseil d'État part évidemment de
cette idée que la mesure de police est en dehors du fonc-
tionnement des services et de la collaboration (2). Pour-
tant il est des cas où, par exception, des indemnités sont
accordées, par exemple pour avaries survenues aux navires
dans les manœuvres commandées par les officiers de port (3).
C'est que dans cette police toute spéciale il y a collabora-
tion continuelle pour la manutention du port entre l'of-
ficier du port, les pilotes, les patrons ou les capitaines des
(1) Trib. de la Seine, 20 novembre 1890, Pneu, Rev. d'adm., 1891, IT,
p. 460.
. (2) Cfr. Laferrière, o^?. cit., t. II, p. 187 ; Michoud, De la responsabilité
de l'Etat, n^ 43.
(3) C. E., 6 mai 1881, Tysach ; 21 juillet 1882, Ikimbull; 27 février
lS90,Chédu et Craquelin. . .
14 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
navires. Ici le signe de la collaboration apparaît bien net-
tement.
Quelquefois la jurisprudence n'oserait pas, à elle seule,
passer du point de vue de Tacte de puissance à celui du tra-
vail exécuté, elle n'oserait pas attacher à Téléinent de col-
laboration toute la valeur qu'il a peut-être, c'est la loi qui
franchit le pas. Tel est le cas de la loi du 8 juin 1895 qui
a accordé une indemnité à la victime de Terreur judiciaire
lorsqu'après condamnation elle a été reconnue innocente;
jusqu'à celte loi l'erreur judiciaire avait été rattachée à la
sentence, acte qui est évidemment d'autorité et de puis-
sance publique, désormais, dans ce cas particulier, et daus
celui-là seul, elle doit être envisagée comme rattachée au
travail du service de la justice. L'erreur judiciaire survient
dans une situation de gestion, de là l'indemnité. Mais pou-
vons-nous dire qu'il y ait collaboration du milieu admi-
nistrable au service de la justice? Certes et de plusieurs fa-
çons. Tous par notre confiance en l'habileté et en l'impar-
tialité des magistrats, nous contribuons à Tautorité de la
chose jugée. Dans les instructions criminelle^, les témoins
concourent à la recherche de la vérité; la Presse y parti-
cipe quelquefois; l'inculpé lui-même y contribue, puisque
notre législation admet l'interrogatoire de l'accusé. A ce
point de vup, l'œuvre judiciaire est bien en collaboration,
il ne s'agissait que d'oser s'y placer.
Ces exemples ne sont pas pour épuiser la matière des
actions en indemnité qui est immense, mais pour faire sai-
sir la commodité du critérium de la collaboration qui est
extrêmement souple et se plie admirablement au progrès
des mœurs en révélant graduellement derrière les actes
de puissance publique qui le masquent, le fait du travail
d'un service administratif.
B. La situation de gestion ne protège pas seulemenl par
des indemnités contre les accidents administratifs les droits
civils ou les droits individuels des administrés, elle garan-
tit aussi des avantages purement administratifs qui par là
J
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE, 15
se trouvent transformés en des sortes de droits; ces avan-
tages se rencontrent soit dans la matière des concessions sur
le domaine public, soit dans les rappoM de la propriété et
de la police administrative. Il y a pour les révéler un réac-
tif admirable qui est le dommage résultant des travaux
publics. Ces droits administratifs sut generis produisent
quelquefois d'autres effets, mais à tout le moins, ils doivent
produire celui-ci : si une atteinte y est portée par une opé-
ration des travaux publics, cette atteinte doit constituer un
dommage. Il est de principe en effet qu'il n'y a dommage
résultant de travaux publics que si une atteinte a été portée
à un droit acquis, non à un simple avantage précaire,
mais il suffit que le droit acquis soit de nature administra-
tive, il n'est point nécessaire qu'il soit de nature civile;
comme l'opération de travaux publics est destinée à pro-
duire une plus-value dont tout le monde profitera, l'équité
y devient très chatouilleuse et l'on ne saurait souffrir le
moindre désavantage supporté par un particulier dans une
occasion où tout le monde doit trouver son avantage.
Dans la revue de ces droits administratifs sui generis à
laquelle nous allons procéder, nous entremêlerons parfois
ce qui devrait être avec ce qui est, afin de montrer par
les réformes désirables auxquelles elle pourrait aider, que
la théorie de la gestion est destinée à devenir un principe
de progrès pour le droit administratif.
à) Il a toujours été admis que les riverains des voies pu-
bliques ont pour leurs maisons des droits de vue et d'accès,
mais ces aisances de voirie ne sont point de nature civile
quoi qu'on l'ait prétendu d'abord U); ce sont des droits admi-
nistratifs provenant d'une situation de gestion. La notion de
voie publique est complexe, la voie est pour la circulation,
mais elle est aussi pour les accès, sans lesquels la circula-
lion ne pourrait pas s'amorcer; les maisons qui se bâtissent
(1) Proudhon, Traité du domaine^ I, p. 512, leur assignait pour titre
un vrai contrat constitutif de servitude.
16 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
le loDgde la voie, viennent donc coopérer à celle-ci en éta-
blissant des accès; d'autre part, ces maisons ne sauraient
s'établir sans des vues qui, d'ailleurs, donnent à la voie
de Tanimation et de la physionomie ; enfin il se conclut
réellement entre l'administration et le riverain qui bâtit
une sorte d'accord consacré par la délivrance des aligne-
ments. Cette collaboration est évidente dans les rues des
villes, car la rue ne se conçoit pas sans maisons(^). De là,
très logiquement, si une opération de travaux publics vient
supprimer les accès ou les vues des maisons en bordure de
la voie publique, un dommage, une indemnité due et un
contentieux de pleine juridiction (2).
b) Si l'utilisation hydraulique des cours d'eaux naviga-
bles et flottables était bien comprise, s'ils nous paraissaient
affectés par leur domanialité même au service des irriga-
tions et des forces motrices et non pas seulement à celui de
la navigation, les concessions de prise d'eau seraient consi-
(1) La collaboratiou ne se limite pas à la constructioii des maisons, elle
86 poursuit dans la confection des trottoirs généralement faits de compte
à demi (L. 7 juin 1845), dans les taxes de pavage, etc.
On trouve dans Sourdat, Traité de la responsabilité, 1. 1, p. 432, les con-
sidérations suivantes, toutes pareilles à celles développées au texte et qui
n'ont que le tort de ne pas être rattachées à une théorie générale de la
gestion : <( Il y a un état de choses que l'administration s'est engagée,
<c jusqu'à un certain point, à maintenir. Il importe à la sécurité de la cir-
« culation et à l'embellissement de la cité que des établissements utiles se
« forment le long des voies publiques. Il faut donc présenter aux cons-
« tructeurs et aux propriétaires quelques garanties contre les événements
« qui viendraient ruiner leurs espérances ». Cfr. Curasson, Des act, pos-
sess.^ p. 208 et 214; Demolombe, Traité des servitudes^ t. II, n«>* 690
et 700.
(2) C. E. 17 décembre 1886, Ville de Chaumont; — la question de l'exis-
tence des droits d'accès est de la compétence des tribunaux administratifs
(Cour de Bourges, 26 octobre 1897, Just Bernard, Revue d'administration,
98, I, p. 317). — Il y aurait de bonnes raisons pour étendre la théorie
de la gestion à la matière de la délivrance des alignements et d'admettre
un contentieux de pleine juridiction sur les décisions administratives ren-
dues à ce sujet.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 17
dérées comme créant des siliialions de gestion; les arrosants
ouïes usiniers, au lieu d'être des concessionnaires à titre
privatif et précaire, deviendraient les collaborateurs d'un
service public. La situation de ces concessionnaires serait
siogulièrement améliorée, la prise d'eau ne pourrait plus
être modifiée ou supprimée sans indemnité par des travaux
publics, il y aurait dommage aux usines. La chose n'est
pas inconcevable puisqu'aux. colonies la domanialité pu-
blique s'étend à tous les cours d'eau, même à ceux qui
n'étant point navigables ne peuvent servir qu'aux irriga-
tions et aux prises d'eau pour force motrice. Pourquoi le
serviceîdes prises d'eau impliqué dans la domanialité pu-
blique aux colonies n'y eût-il pas été impliqué aussi dans
la métropole? Malheureusement l'art. 45 de la loi du 8
avril 1898 est venu créer un obstacle légal à une évolu-
tion de jurisprudence qui, sans lui, eût été possible, il dé-
clare que les prises d'eau sur les rivières navigables et
flottables peuvent toujours être supprimées ou modifiées
sans indemnité (même dans le cas de dommages résultant
de travaux publics)(*).
c)Mais si la condition des prises d'eau sur les cours d'eau
navigables et flottables reste précaire, il n'en est pas de
même de celles établies sur les cours d'eaux non navigables
et non flottables; ici s'établit, entre l'administration qui au-
torise l'ouvrage et le riverain qui le construit, la situation
de gestion, parce que la police administrative sur les petits
cours d'eau doit être dirigée vers la meilleure utilisation
des eaux, parce qu'elle doit « concilier les intérêts de l'a-
griculture et de l'industrie » (L. 8 avril 1898, art. 9), et
que les riverains en établissant des prises d'eau, en vertu
d'ailleurs d'un droit d'usage de nature civile qui leur est
propre (art. 644, C. civ.), vont dans le sens même de la
(1) A moins que la prise d'eau n'ait une existence légale, ce qui a un
sens tout spécial et ce qui ne s'applique pas à celles qui sont établies après
concession.
H. 2
18 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
police, ils collaborent. Aussi, si des dommages sont cau-
sés aux usines ou aux prises d*eau par des travaux publics
accomplis en rivière, il y a indemnité (jurisprudence cons-
tante, art. 14, in finej L. 8 avril 1898). Et même, dans les
cas où les prises d'eau sont révoquées ou modifiées par
mesure de police, il existe un recours administratif abou-
tissant à un décret rendu en Conseil d'État qui, sans être
encore du contentieux de pleine juridiction, a quelque chose
de plus large que le recours contentieux en annulation qui
d'ailleurs subsiste provisoirement (art. 13, eod. ). Les au-
torisations d'ouvrages donnent lieu aux mêmes recours (*).
d) Ainsi, d'une façon générale, la situation de gestion
peut s'établir toutes les fois que l'activité d'un administré
ou son mode de jouissance s'exercent dans le même sens
qu'une police de l'État ou qu'une utilisation du domaine
public.
Dans la matière des concessions sur le domaine pu-
blic, cette idée est créatrice de distinctions et de catégories
très précieuses. Il y a des concessionnaires qui n'occupent
le domaine que dans leur intérêt privatif et sans collaborer
à aucun service public, ceux-là sont dans une situation de
puissance publique et leur possession est précaire, tel serait
le cas du jardinier qui cultiverait des salades dans les
fossés d'une forteresse. Mais il est d'autres concession-
naires qui en occupant le domaine collaborent à un ser-
(1) Pour comprendre les propositions énoncées au texte, il faut se rap-^
peler que si les prises d'eau dûment autorisées sur les cours d'eau non
navigables ni flottables constituent droit acquis à V encontre de la suppres-
sion par opération de travaux publics et si pareille suppression constitue
un dommage j au contraire, elles ne constituent pas droit acquis à l'en-
contre des suppressions par m^esures de police motivées par des raisons de
salubrité publique ou de sécurité publique. (L. 8 avr. 1898, art. 12-14),.
pareilles suppressions ne constituent point un dommage et ne donne point
lieu à indemnité (art. 14). Ces règles délicates qui se sont créées dans la
matière des usines, montrent la vérité de l'observation faite plus haut
(p. 15) à savoir que le dommage résultant des travaux publics est le réac-
tif le plus sensible des droits administratifs nés de la gestion.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 19
vice public, tel est le cas, des compagnies de chemins de
fer, des entrepreneurs de tramways, des entrepreneurs
d'éclairage collectif; ceux-là sont dans une situation de
gestion ; il naît à leur profit des droits qu'il y a peine quel-
quefois à concilier avec l'inaliénabilité du domaine, bien
que, finalement, subsiste toujours la limite du rachat de
la concession (*).
Ainsi, tantôt la concession sur le domaine est à Tétat
pur, tantôt elje est compliquée de gestion. La distinction
sera quelquefois délicate et il ne faudra pas toujours s'ar-
rêter à ce fait qu'il a été passé ou non une convention ; même
sans convention, la situation de gestion peut s'établir et elle
serait de nature, si la jurisprudence voulait entrer dans
la voie que nous lui indiquons, à produire des effets qui, à
la vérité, ne seraient pas aussi pleins que ceux de la con-
vention, mais qui seraient quand même appréciables (2).
(1) Je crois notamment, bien que l'idée contraire ait été émise, que les
établissements ou les canalisations faits par ces concessionnaires dans les
rues ne pourraient pas être bouleversés sans indemnité par des travaux de
voirie, sous le prétexte qu'ils ne constitueraient que des avantages pré-
caires. Presque toujours les concessionnaires font des conventions à ce
sujet, mais, même sans convention, ils sont dans une situation de gestion.
(2) Par exemple, les concessions faites sur le rivage de la mer pour éta-
blissements de pêcheries ou de parcs à huîtres pourraient très- bien être
considérées comme constituant une collaboration aux services publics que
représente le rivage, et l'on comprendrait qu'elles ne pussent pas être sup-
primées sans indemnité au moins par l'effet d'une opération de travaux
publics. Quel est en effet le service auquel correspond la domanialité pu-
blique du rivage? Est-ce seulement le service de la navigation, n'est-ce
point d'une manière générale V accès pour Vutilisation de la mer f — Par
exemple encore les permissions de voirie, si variées, ne pourraient-elles
pas être considérées comme des utilisations de la voie qui seraient dans le
sens même de la domanialité publique de celle-ci. Dès lors, elles pourraient
bien être supprimées par mesure de police sans indemnité comme les
usines autorisées auprès des petits cours d'eau, mais elles ne pourraient
pas être supprimées sans indemnité par une opération de travaux publics ;
déjà d'ailleurs la pratique admet ici des conventions et des restitutions
de redevances en cas de suppression. On voit quels progrès la théorie de
la gestion pourrait entraîner et quelles garanties pourraient en être tirées
20 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
D*un autre côté, la convention annexée à une concession
n*est elle-même qu'une variété de gestion. Donc la conces-
sion sur le domaine est en soi un acte unilatéral toujours
identique à lui-même, mais il intervient ou il n'intervient
pas dans une situation de gestion W.
e) Je tiens à expliquer une dernière conséquence de la
situation de gestion. Ici, il ne s'agit pas d'incliner la juris-
prudence à reconnaître des droits nouveaux au profit
d'un concessionnaire du domaine, il s'agit au contraire
d'expliquer d'une façon satisfaisante des droits très forts
qu'elle admet depuis longtemps. On sait la pratique des
concessions perpétuelles dans les cimetières et l'espèce de
propriété funéraire que la jurisprudence en a fait sortir (2).
Le cimetière est dépendance du domaine public inalié-
nable et imprescriptible (3) et cette constitution de pro-
priété semble une aliénation; il y a contradiction, inele-
gantia jurisW, Eh bien, la conciliation est possible par
pour bien des concessions sur le domaine, par une simple extension de
la notion de la domanialité elle-même et par l'idée de la collaboration du
concessionnaire aux services variés que représente cette domanialité.
(1) Dans une excellente étude sur les monopoles communaux^ Paris,
1899, M. EuBtache Pilon a très bien posé la question de la nature juridi-
que de la concession, p. 63 et suiv. — On consultera avec fruit ce travail
très documenté au point de vue de la doctrine étrangère. Le seul tort de
l'auteur est d'avoir restreint au cas de la convention les hypothèses où la
concession n'est pas à l'état pur.
On remarquera que nous avons déjà analysé la situation du fonction-
naire en une concession de la fonction publique intervenue dans une situa-
tion de gestion.
(2) Cfr. la note dans Sirey, 1892, III, 41 ; Revue adm. du culte catho-
lique, Lille, 1898, p. 331 ; — adde, conflits, 21 nov. 1896, Mégère,
(3) Du moins dans l'opinion la plus généralement acceptée. Proudhon ,
Tr. du domaine, t. I, p. 461, n» 337; Gaudry, Tr, du domaine^ t. III,
p. 228 et s.; Dufour, Traité de dr, adm,, 3® édit., t. V, p. 286 ; Gautier,
Précis des matières adm,, t. I, p. 292, etc.
(4) La jurisprudence de la Cour de cassation limite, il est vrai, autant
qu'il est possible, les effets de cette propriété : elle n'est pas à proprement
parler dans le commerce, les caveaux ne sont transmissibles que par suc-
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 21
ridée de gestion. 11 faut remarquer que les familles qui
demandent et obtiennent des. concessions perpétuelles col-
laborent au service des inhumations et à Tutilisation du
cimetière ; elles y concourent non seulement par les rede-
vances qu'elles versent, mais par les monuments qu'elles
édifient et qui, incontestablement, donnent au champ des
morts son aspect habité, qui par suite diminuent sa dé-
solation, lui prêtent même quelque charme et quelque
poésie. Il en est de ces monuments dans nos cimetières
chrétiens comme des maisons le long des voies publiques,
on ne conçoit guère ceci sans cela. Dès lors, il est naturel
que cette collaboration engendre des droits, une sorte de
propriété, d*ailleurs très spéciale, qui ne pourra être
utilisée que pour des inhumations, qui sera en somme
hors du commerce et qui, si le cimetière est déplacé, ne
donnera jamais droit qu'à un terrain équivalent dans le
nouvel emplacement. La constitution de cette propriété ne
constitue pas une aliénation car elle va dans le sens même
de r utilisation du domaine (^).
II. Si maintenant nous abandonnons Fhypolhèse de la
situation de gestion établie par la collaboration diffuse à
cession ou testament, non point par vente ou donation. — Cfr. Cass., 7
avril 1857, Dalloz, 57. I. 311 ; 9 février 1898, Mailhchon.
(1) La règle de l'inaliénabilité du domaine public est fondée unique-
ment sur la destination d'utilité publique de la chose, elle doit donc être
interprétée à l'aide de cette destination d'utilité publique. Or, s'il est des
constitutions de droits réels sur le domaine qui loin d'entraver la destina-
tion d'utilité publique de la chose lui viennent au contraire en aide, ces
constitutions de droits réels doivent être admises, surtout si les droits réels
créés ne sont pas eux-mêmes mis dans le commerce. Cette interprétation
raisonnable de la règle de l'inaliénabilité explique bien des anomalies ap-
parentes ; d'abord le cas des concessions perpétuelles dans les cimetières ;
ensuite le droit d'usufruit spécial qui existe sur l'église communale au pro-
fit de la fabrique, celui qui existe sur le presbytère au profit du desser-
vant ; enfin l'espèce de propriété que certains fonctionnaires acquièrent
sur des éléments de leurs fonctions, propriété du grade, de la chaire, etc.
(dans l'office ministériel on touche la limite de cette théorie en ce sent>
qu'un élément de l'office, la finance, tombe dans le commerce).
22 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
Texécution d'un service public, si nous nous attachons aux
actes de gestion accomplis par l'administration elle-même
d'une façon distincte et séparable, nous nous trouvons en
présence d'une telle abondance d'exemples qu'il nous faut
établir des catégories. Il y a l'acte de gestion contractuelle,
l'acte de gestion pécuniaire, l'acte de gestion officieuse,
Tacte de gestion forcée.
1** L'acte de gestion contractuelle est le contrat dit admi-
nistratifs c'est-à-dire le contrat passé directement pour
assurer le fonctionnement d'un service public; il implique
par lui-même la collaboration d'un entrepreneur ou d'un
fournisseur au concours duquel l'administration fait ap-
pel, tels sont les marchés de travaux publics, les offres de
concours en matière de travaux publics, les marchés d'é-
clairage au gaz, les marchés de fournitures, du moins ceux
de l'État (^). Là la collaboration et par conséquent la ges-
tion sont évidentes; il est inutile d'insister.
2° L'acte de gestion pécuniaire est l'acte par lequel il
est statué sur une créance ou sur une dette de l'adminis-
tration. Du moment qu'il y a mouvement d'argent, il y a
signe de collaboration à l'action administrative, car l'ar-
gent est toujours rémunération d'un service rendu ou
moyen d'obtenir un service ou dédommagement pour un
accident survenu à un collaborateur dans le service. Les
décisions sur des questions d'argent sont : les liquidations
de dettes de l'État, de traitements, de pensions 1^), les ar-
rêtés de débet; ce sont encore les décisions rendues sur des
(1) La jurisprudence ne range point les marchés de fournitures des dé-
partements et des communes parmi les contrats administratifs parce qu'elle
suit encore des errements antérieurs aux lois de décentralisation qui ont
communiqué aux administrations locales de la puissance publique (conflits,
28 janvier 1899, Lagauché). Mais, dans une théorie logique de la gestion,
ces marchés doivent être considérés comme administratifs. Je n*ai garde
de commettre Tinconséquence que me reproche M. Jacquelin, op. cit., p. 94.
, (2) Le décret concédant la pension est un acte de gestion, tant parce
qu'il contient liquidation de celle-ci, que parce que la situation du fonc-
tionnaire est d'avance de gestion (V. p. 10).
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 23
demande d'indemnité (C. E. 13 déc. 1889, Cadot, etc.) ou
sur des deniandes de contributions budgétaires (C. E.
3 févr. 1893, ville de Paris).
Enfin la perception des impôts constitue une opération
de gestion pécuniaire et donne lieu à des actes de gestion ;
l'arrêté du préfet qui rend exécutoire le rôle des contribu-
tions directes est un acte de gestion contre lequel existe
un recours contentieux de pleine juridiction W. L'impôt
est la principale des coopérations aux services publics
que fournissent les administrés et le nom de contributions
publiques, aussi usité que celui d'impôts publics, est tout
à fait justifié. Le contribuable est l'administré en tant que
collaborateur. A l'heure actuelle l'administration s'obtient
à prix d'argent, le contribuable fournit les milliards néces-
saires. Les deniers publics servent à acheter la collabora-
tion des fonctionnaires, des fournisseurs, des entrepre-
neurs, mais ils sont eux-mêmes le produit d'une collabo-
ration. Le budget administratif est entre deux gestions, il
sera dépensé en gestion, mais il a été alimenté aussi par
une gestion. Remarquons que la collaboration du contri-
buable est volontaire, en partie du moins, l'impôt n'est
plus le tribut levé de force, il est bien la contribution
consentie et discutée par les élus de la nation (2).
3** L'acte de gestion officieuse est celui dans lequel
l'administration intervient en vue d'augmenter, pour ainsi
dire, l'efficacité d'une initiative individuelle à laquelle elle
s'associe. A la vérité, on pourrait observer que tout service
public est un bon office rendu aux initiatives individuelles;
encore est-il que cela n'apparaît point partout d'une façon
actuelle, mais seulement en un certain nombre d'occasions :
(1) Si pour les contributions indirectes il y a contentieux judiciaire,
c*est en vertu d'une exception f orraellement établie par les lois.
(2) A supposer que Fimpôt ne dût pas être envisagé ici comme li-
brement consenti, mais comme levé par contrainte, le caractère d'opéra-
tion de gestion ne disparaîtrait pas quand même, il faudrait alors placer
rimpôt dans la catégorie de la gestion forcée (V. infrà^ p. 29).
24 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
a) Je signalerai d'abord certaines matières de police où,
non sans surprise, nous voyons consacrés des recours con-
tentieux de pleine juridiction ou des recours administratifs
qui s'en rapprochent, alors qu'on s'attendrait seulement à
des recours en annulation.
Telle est la police des établissements dangereux, insa-
lubres et incommodes. Les arrêtés du préfet qui autorisent
l'établissement ou refusent l'autorisation, bien que se pré-
sentant comme des actes de puissance publique, sont dé-
clarés susceptibles de recours contentieux ordinaires (D. 15
octobre 1810, art. 7 et 8). On a émis beaucoup d'hypothèses
au sujet de cette anomalie; on a été jusqu'à dire que c'était
de l'administration active égarée dans la juridiction W. On
s'est généralement mépris, le juge ne fait pas là plus
qu'ailleurs de l'administration active, seulement le préfet
en rendant son arrêté a fait de la gestion. L'industriel et
les voisins, livrés à eux-mêmes, auraient eu beaucoup de
peine à accorder leurs droits, droit à la liberté du travail
de l'un, droit des autres à ne pas supporter les inconvé-
nients de voisinage exceptionnels résultant de l'établisse-
ment; l'accord n'était possible que par la prescription de
certaines précautions industrielles. Le législateur a jugé
que l'administration devait offrir ses bons offices en vue de
prescrire ces précautions, mais que cela ne devait point
faire disparaître l'initiative ni les droits respectifs des par-
ties en présence. C'est pourquoi les uns et les autres ont
des recours contentieux ordinaires contre la décision et
c'est pourquoi aussi, l'autorisation administrative étant
donnée sous réserve des droits des tiers, les voisins conser-
vent un droit à indemnité si l'établissement leur cause en
réalité des dommages malgré les précautions prises (2).
(1) Cf. Aucoc, Conférences, I, p. 481 ; Barthélémy, Les droits subjectifs
des administrés^ p. 12.
(2) Le principe une fois posé que la police des établissements dange-
reux est matière de gestion, il y aurait lieu de re viser dans cet esprit bien
des règles admises qui paraissent quelque peu incohérentes. Ainsi, tandis que
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 25
De rautorîsation de rétablissement dangereux il con-
vient de rapprocher la concession de mines. La création
de cette propriété particulière est un moyen de sortir d'une
situation inextricable, de donner satisfaction à Texploi-
tant, à rinventeur, au propriétaire de la surface et aussi
au public; l'exploitant et l'administration s'associent dans
ce but. L'exploitant, par la concession de la mine va de-
venir une sorte de concessionnaire de travaux publics, il en
aura presque les droits et les charges, dans tous les cas, sa
propriété sera d'intérêt public (^). Les oppositions à la de-
mande en concession donnent lieu à un contentieux qui
est de pleine juridiction (art. 28, L. 21 a\ril 1810); le
retrait de la concession également, s'il est prononcé (L. 27
avril 1838, art. 6; C. E., 13 nov. 1896, Salarmier),
Si l'association syndicale autorisée ne se confond pas
entièrement avec l'administration, si elle est plutôt un éta-
blissement d'utilité publique, ainsi que cela est soutenu (2),
sa formation devrait encore pouvoir être considérée comme
une opération de gestion par bons offices, car cette associa-
tion est évidemment organisée avec le concours de l'admi-
nistration (3). Une majorité de propriétaires a pris l'initiative
Tarrêté du préfet qui autorise ou refuse d'autoriser rétablissement est sus-
ceptible de recours contentieux ordinaire, on admet généralement que Tar-
rêté prononçant la fermeture d*un établissement autorisé parce que des
inconvénients graves se sont révélés, n*est susceptible que d*un recours
pour excès de pouvoir. Pourquoi cette différence ? De même, on admet que
le décret de suppression qui interviendrait pour un établissement de pre-
mière classe en vertu de Part. 12, D. 15 oct. 1810, ne serait pas susceptible
de recours contentieux. Pourquoi?
(1) On sait que le concessionnaire de la mine a un droit d'occupation
temporaire sur les terrains à la surface et même en certains cas un droit
d'expropriation, mais qu'en revanche il est tenu d'exploiter sous menace
de retrait de la concession (Cfr. mon précis, 8® édit., p. 793 et s.).
(2) Cfr. M. Ducrocq, Cours de dr, admin,, 6© édit., t. II, n** 1574 ; mon
jPréciSf 3® édit., p. 788. — En sens contraire : M. Aucoc, Conférences, ^^
édit., t. I, no 206.
(3) Cf. Aucoc, conf. I, n° 206.
26 LA. GESTION ADMINISTRATH^E.
OU s*est formée en faveur de l'initiative, elle a sollicité
l'intervention de l'administration pour que la minorité
récalcitrante soit contrainte d'entrer dans l'entreprise; une
fois constituée l'association sera étroitement associée à l'ad-
ministration et deviendra une sorte d'entrepreneur de
travaux publics; il y a certes collaboration de la majorité
de propriétaires et de l'administration et par conséquent
situation de gestion; le recours organisé par l'art. 13, L.
21 juin 1865, contre l'arrêté du préfet, pourrait et devrait
être considéré comme un recours en réformation et être
rapproché ainsi du contentieux de pleine juridiction;
malheureusement le D. R. du 9 mars 1894, art. 18,
semble ne l'envisager que comme un recours en annula-
tion (i).
Enfin l'art. 4, L. 21 juin 1898, sur la police rurale, fait
de la démolition des bâtiments menaçant ruine une mesure
de gestion ; après l'arrêté du maire, le conseil de préfec-
ture est saisi d'un contentieux de pleine juridiction. La
loi a donc vu dans l'arrêté de démolition une collabora-
lion de l'administration. Et en effet, il faut supposer que la
démolition s'impose, la décision administrative rend au
propriétaire le bon office de faire cesser ses hésitations,
en même temps elle lui évite d'avoir à payer des dom-
mages-intérêts en cas d'accident; en somme, le maire
vient en aide au propriétaire dans la gestion de sa pro-
priété.
b) Mais, incontestablement, un cas plus intéressant de la
(1) Il suit de là que lorsqu'une association dont le but est parallèle à
celui de PEtat doit être approuvée, l'approbation administrative est moins
une mesure de police qu'une mesure de gestion. Je serais très disposé à
interpréter en ce sens l'art. 16 de la loi du 1**^ aviil 1898, sur les sociétés de
secours mutuels ; un recours contentieux est organisé contre le refus d'ap-
probation, je croirais qu'on doit y voir un recours contentieux ordinaire
et que le Conseil d'État peut prononcer l'approbation. Il est vrai que le
recours est dispensé des frais et du ministère de l'avocat, mais c'est par
mesure de faveur et cette dispense ne signifie point ici qu'il s'agisse du
recours pour excès de pouvoir.
LA NOTION DE LA GESTION ADUINISTR
gestioQ par bons offices se révèle daos l'opér
Iralive de l'électioD. Au premier abord, et si
que les grandes élections politiques préparéi
crets ou des arrêtés de convocation des élec
par un bureau électoral, proclamées par ur
de recensement, on n'aperçoit que l'action j
seule, et on ne voit pas où gît la collaboratiôi
réfléchir que si l'administra lion dirige l'opéra
tion, pourtant ce n'est pas elle qui nomme, qi
traire les électeurs, ou si l'on veut, le Souvt
nistration n'intervient que pour assurer la
l'élection, mais ce n'est pas elle qui l'opèn
même pas le principal rôle.
De là cette règle du contentieux électoral
Hère, à savoir que l'administration peut fori
mations contre l'élection au même titre que
c'est bien parce qu'elle a été un collaborai
peut-elle réclamer qu'au nom de la violât
parce qu'elle n'a collaboré qu'à l'application c
Observons que c'est seulement dans l'opéra
l'élection, dans la proclamation du résultat, q
ration se noue et qu'apparaît la gestion ; jusq
par lesquels l'administration a préparé l'éle
tionnement électoral, la convocation des élect
conservé à certains égards leur physionomie
d'actes de puissance publique; en le résulta
nentles éléments d'une gestion et ils entren
tentieus de pleine juridiction C^).
Que si dans les grandes élections politique:
(1) De là vient que, par exemple, contre le sectioDoe
recovira pour eicès de pouvoir serait recevable à raison
l'acte coueidéré iiiolément, mais qa'i! échoue contre la fli
tirée du recoors parallèle parce que le section nemeut est
ne se séparant pas de l'opération de l'élection qui est de i
participant an contentieux de l'élection (C. E. 27 jair
8 août 1888, Gapail; 10 juin 18^S, élection de PueehJ .
28 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
on saisit la collaboration de Tadministration et de l'élec-
teur, elle se révèle encore bien mieux dans les petites élec-
tions, dans les organisations plus humbles où la réalité
se montre avec plus de candeur. C'est ainsi que la loi du
29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des
ouvriers mineurs, ayant prévu l'élection par les ouvriers
intéressés d'un mandataire ad lùempour les différends qui
naîtraient de l'exécution de la loi et qui seraient déférés
aux tribunaux civils, les art. 22 et suivants du décret ré-
glementaire du 25 juillet 1894 organisent toute une pro-
cédure d'élection surveillée par l'autorité publique (i) et qui
esta la disposition des intéressés; on saisit d'autant mieux
l'office de collaboration qu'il s'agit d'une opération facul-
tative.
c) Enfin je ramènerai à la catégorie de la gestion offi-
cieuse l'opération de travaux publics — non pas le mar-
ché de travaux publics en tant qu'il produit des effets entre
l'administration et l'entrepreneur, — mais la construction
de l'ouvrage public en tant qu'elle produit des effets vis-à-vis
des tiers et, spécialement, des conséquences de plus-
values ou d'indemnités pour dommages permanents (^).
En effet, la théorie des dommages permanents qui met
à la charge de l'administration des indemnités, comme
celle des plus-values qui permet au contraire de faire
contribuer les particuliers aux dépenses administratives
de l'opération, supposent Tune et l'autre que l'opéra-
tion de travaux publics a été entreprise par l'adminis-
tration en vue de produire une plus-value générale dont
doivent bénéficier également tous les administrés. Ceux
qui bénéficient d'une façon exceptionnelle doivent rever-
ser, ceux qui souffrent un préjudice doivent être indem-
(1) Ici c'est le juge de paix, mais il remplit une fonction administra-
tive.
(2) La conséquence de l'occupation temporaire va trouver place plus
loin dans la catégorie de la gestion forcée.
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 29
nisés d'autaat plus que les autres éprouvent une plus-
value!*). Or, si les travaux publics apparaissent ici comme
devant créer des plus-values aux propriétés, c'est que
l'administration contribue à Fenrichissement des adminis-
trés et c'est au premier chef de la gestion par bons offices.
Il n'est pas étonnant que toutes ces matières fournissent un
contentieux de pleine juridiction.
4° Dans l'acte de gestion forcée, la collaboration de l'ad-
ministré à l'opération administrative est obtenue par la
contrainte.
Si le service militaire est basé sur la conscription, il n'en
constitue pas moins une collaboration des hommes à la
défense militaire du pays, seulement c'est une collabora-
tion forcée. Dans tous les cas, il est certain que les récla-
mations contre l'opération du recrutement et les difficul-
tés soulevées par les causes d'exemption ou de dispense
sont jugées par les conseils de révision (art. 18, L. IS juill.
i889) et que ce contentieux administratif spécial est de
pleine juridiction (Cfr. Laferrière, op, cit,, I, p. 16). Le
recrutement militaire est donc traité comme une matière
de gestion; quant au service militaire proprement dit, il
devient matière de police parce que l'homme incorporé
passe sous l'empire d'un droit purement disciplinaire.
11 est bien d'autres exemples de gestion forcée, l'occupa-
tion temporaire en matière de travaux publics, l'établisse-
ment de servitudes d'utilité publique, les réquisitions
militaires, etc.
Je n'insisterai pas sur l'occupation temporaire réglée par
la loi du 29 décembre 1892, ni sur les réquisitions mili-
taires réglées par celles du 3 juillet 1877 et du S mars
1890, ni sur les servitudes d'utilité publique. Dans ces ma-
tières, il y a certainement collaboration forcée de la pro-
(1) La sensibilité de radministration devant le dommage résultant des
travaux publics ne peut provenir que de ce contraste, que ce qui aurait dû
procurer une plus-value a procuré un préjudice. C'ebt une remarque que
nous avons déjà faite plus haut p. 15.
30 LA. GESTION ADMINISTRATIVE.
priélé à des opérations administratives. 11 y a généralement
des indemnités qui donnent lieu à un contentieux de pleine
juridiction; le fait que ce contentieux est tantôt adminis-
tratif, tantôt judiciaire, n'a pas pour nous d'importance en
ce moment; c'est un désarroi législatif qui prouve simple-
ment l'urgence d'une théorie générale de la gestion. S'il
est quelque servitude d'utilité publique dont le nouvel éta-
blissement nedonne pas lieu à indemnité, c'est une injustice,
étant donnée la théorie générale. Les injustices de ce
genre sont réparées peu à peu; c'est ainsi que la loi du 8
avril 1898 a consacré l'indemnité pour le nouvel établisse-
ment de la servitude de chemin de halage (art. 48), elle
étaitdéjàélablie d'ailleurs parle décret du 22 janvier 1808. Il
subsiste cependant des anomalies, par exemple la servitude
de ne pas bâtir dans une certaine zone autour des forte-
resses ne donne lieu à aucune indemnité lorsque lors de
l'établissement de la forteresse il n'y a pas de construction
(V. L. 10 juillet 1891; L. 17 juillet 1819; D. 10 août 1853).
Une question plus intéressante serait celle de savoir si
l'expropriation pour cause d'utilité publique n'est pas un
cas de gestion forcée ; nous l'examinerons au troisième
paragraphe de cette étude, à propos des conséquences de
la théorie de la gestion en matière de contentieux. Nous
verrons à ce moment là que par sa notion primitive l'ex-
propriation se rattache à la gestion administrative; tant
qu'elle n'a été qu'une réquisition de la propriété avec prise
de possession préalable au paiement de l'indemnité, elle
est restée dans le type de la gestion, qui, ainsi que nous le
verrons, réserve toujours à l'administration le privilège
du préalable ou de V exécution provisoire. Mais du jour où
la législation issue de la Révolution a établi que le paiement
de l'indemnité serait préalable à la prise de possession par
Tadministralion, l'expropriation est sortie du type de la
gestion, les rôles s'y sont trouvés renversés, le préalable a
appartenu à la propriété. L'expropriation est devenue au
contraire le type antagoniste de la gestion et c'est un fait
LA NOTION DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 31
dont nous aurons à apprécier les très importantes consé-
quences.
J'arrête là cette re\ue des cas d'application de la ges-
tion W.
Ces analyses quoique très incomplètes suffisent pour la
vérification du critérium proposé. Dans toutes les hypo-
thèses où Ton s'accorde à reconnaître l'existence de la
gestion et oii celle du contentieux de la pleine juridiction est
certaine, le fait de la collaboration au travail administra-
\,
^ (1) Il est tout un ordre de faits dans lequel je n'ai pas voulu entrer,
parce que ce sont des matières où le recours contentieux ordinaire n'a pas
encore suffisamment pénétré pour que je puisse en tirer argument, mais
où cependant la gestion entendue comme collaboration au pervice public,
se manifeste avec une évidence grandissante ; c'est ce que .l'on a appelé
jusqu'ici la tutelle administrative parce que le point de vue de la puissance
a dominé exclusivement, mais ce que l'on sera conduit à appeler plutôt
le consortium administratif, à mesure que par derrière les relations de
puissance, on verra de plus en plus apparaître les rapports de collabora-
tion entre l'administration centrale et les administrations locales, entre
les administrations locales, entre les établissements publics. Depuis qu'il
a été réalisé un peu de décentralisation, la plupart des services publics
sont gérés en commun par plusieurs administrations. Les contributions
budgétaires, les subventions, les aftectations de bâtiments, les prêts de
fonctionnaires sont les formes habituelles sous lesquelles se manifeste cette
coopération. Il est des formes plus inaperçues ; la commune, par exemple,
ne se charge-t-elle pas de faire procéder aux élections de l'Etat et à celles
du département ? L'Etat ne se charge-t-il pas du recouvrement des impôts
directs du département et de la commune? Cette collaboration entre,
personnes administratives en vue de l'administration doit logiquement
produire des effets juridiques . et engendrer un contentieux de pleine ju-
ridiction. Déjà il intervient entre elles des conventions qui doivent être
traitées comme des contrats administratifs ; déjà un recours contentieux
ordinaire a été déclaré recevable par le Conseil d'Etat dans un cas de
contribution légale due par une commune à un consistoire (C. E. 3 février
1893, ville de Paris).
Il devient difficile de ne pas reconnaître que la gestion, c'est-à-dire
l'exécution des services publics est essentiellement coopérative, comme
d'ailleurs tout travail est coopératif; après celle des administrés, après celle
des fonctionnaires, voilà que nous constatons la coopération des adminis-
trations elles-mêmes.
32 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
lif esl évident. Nous le retrouvons aussi bien dans la situa-
tion de gestion créée par le fonctionnement même des ser-
vices publics que dans Tacte de gestion contractuelle, dans
Tacte de gestion pécuniaire, dans Tacte de gestion offi-
cieuse, dans l'acte de geslion forcée. Nous lui devons la
caractéristique exacte de la situation du fonctionnaire,
aussi bien que la notion vraie de Télection. Dans d'autres
hypothèses favorables, où le recours contentieux ordinaire
n'existe pas, mais où Ton souhaiterait qu'il existât, par
exemple dans la matière des dommages aux usines situées
le long des fleuves navigables et flottables, nous décou-
vrons que la collaboration de l'usine aux utilités publicfues
du domaine deviendrait le moyen d'établir ce contentieux
si des textes malencontreux ne s'y opposaient. Dans des ma-
tières qui semblaient tout à fait de police et de puissance
publique, comme l'autorisation des établissements insalu-
bres, on était étonné de constater l'existence d'un conten-
tieux de pleine juridiction, on découvre en réalité une col-
laboration de l'initiative privée et de l'action administra-
tive, qui justifie le texte de la loi. Enfin on devine quantité
de prolongements, de ramifications de la théorie qui per-
mettraient d'organiser des décisions éparses, d'agencer tout
ce qui dans l'action administrative n'est pas de la police
pure, de transformer graduellement en contentieux de
pleine juridiction une bonne partie du contentieux de l'an-
nulation. Ainsi le critérium est vérifié et il se montre ex-
plicatif de la formation de la catégorie de la gestion, caté-
gorie souple, insinuante, agent indéfini de progrès pour
le Droit administratif.
Mais cette explication ne nous suffit pas, il nous en faut
une autre. L'important de la gestion c'est l'effet principal
qu'elle produit, le contentieux de la pleine juridiction. Si le
critérium de la collaboration à l'action administrative a une
valeur, il doit maintenant nous aider à découvrir comment
se crée le contentieux de la pleine juridiction et comment
naît le recours contentieux ordinaire.
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 33
§ 2. La gestion et le contentieux de pleine juridiction.
IaBl notion du contentieux de pleine juridiction est anté-
rieure à celle de la gestion. Non pas que la dénomination
de contentieux de pleine juridiction remonte bien haut,
elle a été mise en honneur par M. Laferrière dans l'édition
de 1887 de son traité de la juridiction administrative, mais
ce contentieux-là, qui s'oppose à celui de l'annulation, était
pratiqué dès le commencement du siècle sous le nom de
contentieux ordinaire^ et même il était considéré comme le
seul contentieux.
Ainsi l'effet était connu avant la cause, ce qui arrive
souvent, surtout en matière de contentieux. Des conflits et
des réclamations se produisent, on organise des litiges parce
que la paix publique l'exige et parce qu'un sentiment
instinctif de justice avertit que la situation demande en effet
un juge. Ce n'est que plus tard que la théorie trouvera le
fondement véritable de l'institution. Ici, le fondement était
la gestion et la collaboration qui se cache dans la gestion,
mais on ne s'en est point avisé tout d'abord.
On sait ce qu'est le contentieux de pleine juridiction; un
juge y est saisi d'un litige administratif avec le pouvoir de
statuer, de substituer une décision à celle des autorités
administratives qui étaient intervenues dans l'affaire, tandis
que dans le contentieux de l'annulation le juge ne fait
qu'annuler des décisions administratives sans y substituer
la sienne propre. Le contentieux de pleine juridiction s'en-
gage en principe par un recours contentieux ordinaire
dirigé contre un acte d'administration et porté devant une
juridiction administrative (le conseil de préfecture ou le
Conseil d'État ou une juridiction spéciale); quelquefois il
II. 3
34 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
s*engage par une véritable action dirigée plutôt contre la
personne administrative que contre l'acte, mais portée tou-
jours devant un juge administratif; cette seconde hypo-
thèse est rare parce qu'en général pour créer le conten-
tieux, c'est-à-dire pour engager le litige, il faut au préa-
lable une décision attaquable qui est un acte d'adminis-
tration W.
Or, si l'on suit Thisloire du Droit administratif français
en ce siècle, au point de vue du contentieux, on s'aperçoit
qu'elle se décompose en deux périodes : la première va de-
puis les origines j usqu'au décret du 2 novembre 1864, le con-
tentieux de la pleine juridiction y occupe la première place
et retient toute l'attention des jurisconsultes; la seconde
période va depuis le décret du 2 novembre 1864 jusqu'à
nos jours, c'est au contraire le contentieux de l'annulation
qui, avec le recours pour excès de pouvoir, passe au premier
plan; le contentieux de la pleine juridiction est de plus en
plus négligé. La vérité de celle observation apparaît frap-
pante si l'on compare entre eux les deux ouvrages sur le
contentieux qui ont successivement fait autorité, celui de
Serrigny et celui de M. Laferrière. Le Traité de la compé-
tence et de la procédure en matière contentieuse administra-
tive de Serrigny, même dans sa 2® édition de 1865, ne
contient que quelques pages sur le recours pour excès de
pouvoir (t. I, p. 306-318) où d'ailleurs celui-ci n'est pas
nettement distingué du recours en cassation des jugements ;
dans les considérations générales sur le contentieux admi-
nistratif l'auteur raisonne comme s'il n'y avait qu'un seul
contentieux, le contentieux ordinaire, l'excès de pouvoir
est simplement considéré comme faisant entrer dans le
contentieux des actes qui par eux-mêmes étaient discré-
tionnaires (t. I, p. 49) (2). Au contraire, dès sa première
(1) C'est la distinction de ce que Serrigny appelait le contentieux a
pjisteriori et le contentieux a priori (t. I, p. 33, Traité de la compétence).
Le contentieux a priori (sans acte d'administration préalable) est rare.
(2) C'était là l'opinion générale, en réalité l'expression contenUeux dési-
LA GESTION ET LB CONTENTIEUX DE PLEINE JURID
édition en 1887, le Traité de la juridiclion adn
de M, Laferpière pose la dislinctioa des deux ce
i! contient une très large et très complète ihéoi
tentieux de l'annulation et du recours pour exci
voir, et, à l'inverse, bien qu'il passe en revue
pales matières contentieuses de la pleine juridii
contient pas de théorie générale du contentieux d
juridiction.
Ainsi le contentieux ordinaire, qui d'ailleur
la Révolution plongeait ses racines dans les j
administratives de l'ancien régime, avait pendant
attiré toute l'attention des jurisconsultes; pi
quement à la suite d'une réforme de procédui
dait à favoriser le développement d'un contentiei
dinaire, celui de l'excès de pouvoir jusque-là as
loute l'attention se portait sur ce contentieux extt
et le contentieux ordinaire était délaissé. Ce p
surprenant, cet arrêt dans le développement d
tutioQ, ce dédain succédant à cette estime méri
cation.
Si l'on a abandonné ainsi depuis quarante a
du contentieux ordinaire cela n'a pas été sar
motifs. D'abord il y eut l'attrait de la nouvea
intéressant d'organiser la théorie nouvelle du re
excès de pouvoir qui, jusque-là, s'était pénibli
parée et à laquelle le décret du 2 novembre '
donner un nouvel élan; il y eut à digérer da
gnait à cette époque le seul fait que le litige était soumis &
distinguer d'ajirés lea pouvoirs du juge, il n'y avait donc q
tieus ; on n'avait à distinguer que ce qui était contentieux
l'était pas ; on appelait admintatration diicritionnaire celle c
n'étaient pas sasceptibles du seul recoure qui, primitivement,
litige devant un juge, le recours contentieux ordinaire ; lorsc,
pouï excès de pouvoir se développa, on se borna, d'abord, a
tingner nettement deux contentieux et deux recours, àremarqu
de pouvoir faisait tomber lea actes discrétionnaires dans le ci
36 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
tentieux de Tannulation rimmeDse quantité des actes de
Tadministratioa que la période précédente avait considé-
rés comme discrétionnaires. Mais il s* ajouta une autre
raison, c'est que les efforts tentés jusqu'en 1864 pour orga-
niser une théorie convenable du contentieux ordinaire
avaient échoué et qu'on était découragé par cet insuccès.
On se rejeta vers le recours pour excès de pouvoir parce
qu'au point de vue doctrinal le recours contentieux ordi-
naire n'avait causé que des déceptions.
La première condition pour qu'une institution juridique
soit vraiment intéressante 'c'est qu'elle ait une source de
vie propre, si elle ne repose que sur des dispositions de
lois, si elle n'a ainsi qu'une existence artificielle, elle peut
occuper le commentateur, le jurisconsulte s'en détourne.
Ce qui a tout de suite attiré au recours pour excès de pou-
voir les sympathies de la doctrine, c'est qu'on s'est aperçu
que c'était une création vivante de la jurisprudence, sus-
ceptible d'un développement progressif et pour ainsi dire
indéfini. Si la doctrine s'est désintéressée du contentieux
ordinaire, c'est qu'au contraire, après des efforts inutiles
pour échapper à cette conclusion, elle s'est crue obligée
de confesser que ce contentieux n'avait pas de source spon-
tanée, qu'il n'existait qu'en vertu des textes, que, par con-
séquent, elle, doctrine, ne pouvait rien pour son dévelop-
pement.
Pendant un demi-siècle, on s'était demandé si à côté
du contentieux ordinaire d'attribution^ c'est-à-dire du con-
tentieux organisé par les textes législatifs, il n'y avait pas
un contentieux de nature. On avait affirmé instinctivement
l'existence de ce contentieux de nature; on avait distingué
Tadministration contentieuse de l'administration discré-
tionnaire, on avait raisonné sur des situations contentieuses
par elles-mêmes, sur des actes contentieux par eux-mêmes.
Puis, quand il s'était agi d'organiser la théorie d'une façon
complète, de déterminer le critérium du contentieux de
nature, tout s'était évanoui et l'on était retombé dans le
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PI
contentieux d'attribution, dans la i
On s'était dès le début lancé dans
Cette histoire est instructive, elle mon
public des théories multiples, qu'il i
seule soit suivie, parce que si elle n'i
vraie tout le monde se fourvoie et ,
pour longtemps.
En 1818, dans son livre le Conseil a
n'âlS, J.-B. Sirey avait pose U questi
nature sur le terrain des droits ac<i
« toute contestation entre des par
« maintien àe leurs droits privés, soit
(< les agents de l'administration rel<
i< lières, offre le caractère d'un content
« tion, dont la connaissance est attrih
« sur appel desautorités premières ».
côté, Macarel, dans ses Tribunaux ad.
disait p. 5li : i< Un exposé de cette na
mais de douter que le Conseil d'Éta
sur un très grand nombre et une inl
acquis, qu'il exerce donc une véritab!
tieuse (^> ».
On ne sortit plus de cette idée que I
ordinaire naît de la violation du droit
question du critérium du contentlt
celle du critérium du droit acquis. I
recours pour excès de pouvoir se fut
pléta le système en établissant cetti
métrique : le recours contentieux or(
lation d'un droit, le recours pour e]
(1) Ces aaBertions se produisaient à propos i
le Conseil d'État était une véritable juridiction
par plusieurs cominiBsaires du gouvetnement
que celleB-ci volassent plus facilement le budgi
ment k juridiction administrative était l'objet
38 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
\iolation d'un intérêt. Or, aucune définition n'est plus dé-
cevante que celle du droit acquis, aucune distinction plus
difficile que celle du droit et de TintérêK^). Un seul au-
teur a essayé d'aborder de front la difficulté, c'est Chau-
veau Adolphe, dans ses principes de compétence de 1841.
Il a consacré trois volumes à cette tentative héroïque, la
détermination doctrinale des droits acquis des administrés
donnant ouverture au recours contentieux ordinaire, en
cas de violation par Faction administrative; il y a mis une
grande rigueur logique et une sorte de génie subtil ; il
a complètement échoué, il a été sévèrement jugé par les
autres représentants de la science, bien qu'il y eût dans
son œuvre des aperçus remarquables. Tout le monde s*est
replié sur une définition commode du droit acquis, c'es^
celui que V administration est obligée de respecter en vertu
d'une disposition légale. Par conséquent, on est retombé
dans la détermination légale sinon du recours, du moins du
droit et par là dans le contentieux d'attribution (2).
(1) Sans compter que le recours pour excès de pouvoir se développant
toujours, devait finir par être donné, lui aussi, pour violation des droits
acquis créant ainsi une confusion inextricable.
(2) Voici quelques citations instructives :
1° Foucard, Éléments de droit public et administratif, 3® édit., 1843,
t. III, n° 1790 et s. : « Le recours est contentieux lorsqu'il est fondé sur un
droit — mais il ne faut pas croire que la réclamation soit fondée sur un
droit et par conséquent soit contentieuse par cela seul qu'elle s'élève à l'oc-
casion d'un droit qui est froissé, car il n'y a point de décision administra -
tive qui ne froisse très légalement soit un droit personnel soit un droit
réel. Il n'y a réellement contentieux que dans le cas où la réclamation est
appuyée sur un droit que l'administration est obligée de respecter ».
<£ Notre honorable collègue M. A. Chauveau dans ses principes de com-
pétence et de juridiction administrative part, comme nous, de la distinction
des intérêts et des droits pour baser sa théorie du contentieux ; mais il
étend beaucoup trop la catégorie des réclamations fondées sur des droits
en disant : « toute détérioration, tout amoindrissement de ce droit absolu
(la propriété), toute prohibition d'user, de jouir, tout dommage perpétuel
ou temporaire, accidentel ou volontaire, grave ou léger, doivent être con-
eidérés comme une atteinte au droit. L'acte administratif qui porte cette
LA GESTION ET LE CONTENTIEDX DE PLEINE JURIDIC
Pourtant, contre une pareille conclusion la ce
juridique proteste et les faits apportent leur dén
essayant de résister au courant de l'opinion, nous i
notre attention sur la question du contentieux d<
atteinte au droit est coatentieu!: i, t. I, p. 83. II résulterait de
que l'on doit ranger dans le contentieux touE leB actes de l'adu
qui déclarent d'utilité publique les projets d'eiproprîation, la i
dear' " 1 la ^ des chemine vicinaux, etc. C'est aussi la ci
à laq 11 a I teur (Id., p. 65); mais comme alors il'
pour a (] pi d'administration discrétionnaire, puisqn'i
peu d a t dm n st atifa qui ne modifient soit des droite rée
droit p nn I M Chauveau est obligé de faire un nombre
d'es pti n d déclamemnnU (Id., 62 et s.), de telle sorte q
■i'uQ an q 1 ent d'élever de l'autre et jette les pins gi
flcultés sur la distinction des matières contentieuseB. La théori
venons d'exposer est aussi adoptée par Serrigny dans son traité
pétence, 1. 1, p. 34, 1" édition ».
2° Vivien, Études adminietratives, première série, 1845, p. 2i
te Le contentieux administratif se compose de toutes les ré
fondées sur la violation des obligations imposées à l'adminislral
lois qui larégisBontouparlebcotitratsqu'ellesouBCrit >, p. 286.-
assertion qui nous ramène au contentieux de nature ; « les aSai:
tentieus administratif sont innombrables, mobiles, incessantes
font pas partie en vertu d'un texte de loi, parce qu'il aura pou.
pu a un législateur de les y comprendre, mais bien par leur i
pre ; aucune lai spéciale n'a dû intervenir pour les y classer, il t
une pour les en distraire ; elles composent entre elles un ensembl
corps de droit; les lois et les principes généraux qui les régisse:
le droit commun de l'administration i> — mais tout de suite la con
a Jamais le Conseil d'État n'a admis de recours s'il ne s'agissai
clamatiou fondée sur un droit et si ce droit n'appartenait pas
administrative... il a toujours repoussé t^ute prétention fondée t
pie intérêt, l'a renvoyée devant l'administration pure et a refusé
naître par la voie contentieuse B. — Même doctrine dans son i
la loi dn 3 mars 1849, MoniUur, p. 108.
3" F. LaferriÈre, Coure de droit pabUc et adminietratif, 181
p. 538:
> Pour qu'il y ait contentieux administratif, trois conditions
1" qu'il y ait un acte spécial ou un fait particulier de l'admi
2° que la réclamation contre cet acte soit fondée sur un ûic
3' que la réclamation se rapporte à un intérêt de l'ordre adminii
40 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
nous sommes bien obligés de constaterqu'en fait lise crée un
contentieux spontané de. la pleine juridiction dans des cas
011 aucun texte n'impose à l'administration d'obligation
légale, qu'il jaillit de trois sources au moins :
1** Il y a le cas des actions en indemnité pour préjudice
Développement de la deuxième condition : <r le jugement en matière
administrative comme en matière civile est déclaratif; il a pour base un
fait et un droit ; le fait c'est Pacte de Tadministration ou de son agent ; le
droit c'est la cause légale et préexistante en faveur de celui qui réclame
contre l'entreprise administrative. — On doit entendre par droits acquis
des droits certains et d'un caractère actuellement irrévocable qui naissent
d'une loi administrative, d'une ordonnance, d'un décret, d'un contrat ad-
ministratif, d'une loi civile 2>.
4° Caban tous, Répétitions écrites sur le droit public et administratifs
4* édit., 1867, p. 303, n° 370 :
<c II est généralement admis que la juridiction gracieuse doit être saisie
lorsque la réclamation est fondée sur un simple intérêt et qu'il faut s'a-
dresser à la juridiction contentieuse lorsqu'on invoque un droit acquis.
Mais quels sont les signes du simple intérêt et du droit acquis ?
Il y a simple intérêt si l'acte ou le fait contre lequel on réclame n'a
pas été accompli au mépris d'une obligation légale de l'administration. Il
y a droit acquis si le fait ou l'acte contre lequel on réclame a été accompli
au mépris d'une obligation légale de l'administration.
Les sources des obligations de l'administration sont au nombre de deux :
la loi et les contrats. »
5° M. Ducrocq, Cours de droit administratif, 6e édit., 1881, 1^ vol.
n** 249 : « Il y a droit acquis chaque fois que l'acte ou le fait contre
lequel on réclame a été accompli au mépris d'une obligation de l'adminis-
tration, résultant d'un texte de loi, de règlement ou d'un contrat sous la
protection duquel le réclamant peut se placer ; alors seulement la voie
contentieuse est ouverte contre l'acte administratif. Il en est ainsi parce
que si l'on ne peut opposer à l'administration un droit qu'elle soit tenue
de respecter, une obligation légale, réglementaire ou contractuelle qui la
lie, elle est autorisée par la loi à répondre /wre/ec?. — M. Ducrocq n'a pas
modifié sa doctrine dans sa 7° édition, cf r. 2e vol., n®» 423 et 427 ; il af-
firme cependant (no 423) qu'il existe un contentieux de nature, abstrac-
tion faite des textes.
6° M. Aucoc, Conférences sur le droit administratif 3® édition, 1885,
p. 474 : « Pour qu'un acte de l'autorité administrative donne lieu à un
recours par la voie contentieuse devant une juridiction de l'ordre adminis-
tratif ou judiciaire, il faut la réunion de deux conditions : 1° que l'acte
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 41
causé dans le fonctionnement des services de l'Etat; Tobli-
gation d'indemnité n'est pas établie par la loi dans toutes
les espèces où la jurisprudence Ta admise, notamment,
dans rhypothèso des accidents survenus par la faute de Fof-
Bcier de port, citée plus haut p. 13 (arrêts Tysack^ Turn-
attaqué ait porté atteinte à un droit fondé sur une disposition de loi, de
règlement ou de contrat ; 2® que Tacte attaqué ait pour effet immédiat de
léser le droit du citoyen.
[Nous ne faisons que reproduire ici les théories établies par les maîtres
de la science et consacrées par la jurisprudence du Conseil d*État. Depuis
1875, la table annuelle du recueil des arrêts du Conseil classe au mot
recours contentieux les arrêts en diverses catégories correspondant à celles
de la doctrine] ».
7° M. Brémond, Traité de la compétence administrative, 1894, n° 747.
« Pour qu'un recours contentieux administratif soit possible, deux conditions
Eont nécessaires. Il faut : 1° que la réclamation formée contre un acte
de puissance publique soit autorisée par la loi; 2° que celui qui la forme
y ait intérêt. — n° 748, autorisation légale. Quelques auteurs donnent pour
la première condition une autre formule : ils exigent que la réclamation
soit fondée sur la violation d'un droit et ils opposent alors les demandes
fondées sur la violation d'un droit qui constituent des recours contentieux
aux réclamations ne visant qu'un intérêt lésé, lesquelles ne sont que de
simples recours gracieux. Mais cette formule ne donne pas une idée com-
plètement juste de la situation. Sans doute, en principe, l'intérêt plus ou
moins satisfait ou froissé ne permet pas de réclamations par la voie
contentieuse, mais dans certains cas, par des dispositions formelles, le lé-
gislateur autorise de véritables recours contentieux contre des actes qui
ne peuvent porter préjudice qu'à de simples intérêts ; il en €st ainsi, no-
tamment, en matière d'établissements insalubres. D'autre part, la violation
d'un droit ne donne pas nécessairement naissance à un recours conten-
tieux ; il y a des cas en effet où l'administration est autorisée par la loi
dans une vue d'intérêt public à porter une atteinte véritable aux droits
privés et il est bien évident que les particuliers ne peuvent alors saisir les
tribunaux de leurs plaintes contre des actes parfaitement légaux (V. Bé-
quet, v^ Contentieux, n" 340).
On peut ajouter toutefois que quand on se fonde sur la violation d'un
droit, on a un recours contentieux en prinoipe, sauf à l'administration à
produire le texte qui refuse ce recours ; tandis que quand on n'agit que
pour la protection d'un simple intérêt la règle est qu'on ne peut procéder
que par la voie gracieuse, sauf au réclamant à prouver que la voie con*
42 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
bull, etc.), aucun texte n'impose à l'administration aucune
obligation; il existe des textes dans des matières très spé-
ciales de postes, de douanes, mais pour qui connaît les
habitudes du Conseil d'État, il est clair que celui-ci n^use-
rait pas de l'extension par analogie s'il ne reconnaissait
pas l'existence d'une source propre du contentieux indé-
pendante des textes et que nous savons être le principe de
la gestion;
2M1 y a le cas des recours en indemnité formés par des
employés municipaux révoqués dans les affaires Cadot^
tentieuse lui est ouverte (C. E., 5 mars 1875, Blanc). — Sic, Béquet, v**
Content^ n© 497. »
8° M. Edouard Laferrière, Traité de la juridiction administrativey
2« édition, 1896.
M. Laferrière lui-même n'a pas rompu avec la théorie du droit acqais et
de l'autorisation légale, puisque dans ses notions générales sur le conten-
tieux administratif, t. I, p. 3 et suivantes, après avoir rappelé la défini-
tion de Vivien, les tentatives faites pour énumérer législativement les cas
de contentieux dont il explique l'insuccès par l'impossibilité de tenir la
loi du contentieux à jour par rapport aux lois particulières créant des cas
de contentieux, il aboutit à cette définition : « le contentieux administratif
comprend l'ensemble des réclamations fondées sur un droit ou sur la loi
et qui ont pour objet, soit un acte de puissance publique émané de l'ad-
ministration, soit un acte de gestion des services publics déféré à la juri-
diction administrative par des dispositions de lois générales ou spéciales y>,
p. 8.
Il y a bien là : 1° l'idée fausse que l'acte de gestion ne créerait que du
contentieux administratif ^r détermination de la loi et non pas du conten-
tieux administratif par nature, ; 2° la méprise qui consiste à fonder le re-
cours sur le droit acquis ou sur la loi au lieu de le fonder sur la situation
contentieuse,
A aucun moment, d'ailleurs, il n'est question d'un développement spon-
tané du recours contentieux ordinaire. Alors que les textes, se répétant h
l'envi, chargent le Conseil d'État de statuer sur les difficultés qui s'élèvent
en matière administrative ou sur les affaires contentieuses, ou sur les recours
en matière contentieuse administrative (Art. 52, constitution de l'an VIII ;
L. 3 mars 1849, art. 36; L. 24 mai 1872, art. 9), fidèle à la tradition,
M. Laferrière pour expliquer les développements du contentieux, n'invoque
que les lois qui ont augmenté le contentieux d'attribution (t. I, p. 241,
p. 276).
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 43
Drancey et Wollling [Y. p. 10); ces recours n'ont pas
réussi au fond, mais ils ont été déclarés recevables, donc
il a été reconnu que la matière était contentieuse;
3"* Enfin il y a le cas de certains contentieux électoraux
qui se sont organisés en dehors de toute espèce de textes W.
D'ailleurs, il est remarquable qu'il existe une question
du juge de droit commun en matière de contentieux ordi-
naire, elle a donné lieu à de retentissants débats, les uns
tiennent pour le ministre, les autres pour le Conseil d'État ;
aucun des champions des opinions adverses ne semble
s'être aperçu que si pratiquement cette question se pose, c'est
qu'il y a un contentieux spontané, attendu que lorsque les
textes prennentla peine d'établir formellement une obliga-
tion légale de l'administration, ils prévoient en même temps
le recours et désignent le juge compétent et que s'il est des
cas où l'on cherche le juge compétent, c'est qu'il n'y a eu
aucune détermination légale (2).
Ces constatations sont de nature à provoquer de sérieuses
réflexions, elles nous remettent dans l'état d'esprit des Chau-
veau, des Vivien et des Serrigny. Nous sommes amenés à
affirmer nous aussi qu'il existe un contentieux de nature
de pleine juridiction, que le recours ordinaire a une source
vivante tout comme le recours pour excès de pouvoir. Mais
cette source quelle est-elle?
Reprenons la question munis des leçons de l'expérience,
avertis par le développement du contentieux de l'annula-
tion qui s'est produit dans l'intervalle et dont nous pou-
vons tirer des enseignements; prenons bien garde surtout
de retomber dans les fautes de nos devanciers :
(1) Élections aux Chambres de commerce et aux Chambres des arts et
manufactures (C. E., 22 août 1853, de Rochetaillée; 9 nov. 1877, Bertrand
Binet; 8 août 1890, Sebert; 23 déc. 1887, Courvesy.'-CiT, Laferrière, II,
388.
(2) Spécialement, dans les arrêts Cadot, etc., on sait que si le Conseil
d'État 8*est saisi de recours qui n'étaient fondés sur aucun texte et qui
ne correspondaient à aucune obligation légale de Tadministration, c'a c té
pour affirmer sa qualité de juge de droit commun.
4i LA GESTION ADMINISTRATIVE.
i*Ce fut une faule de vouloir fonder l'existence du re-
cours contentieux sur celle du droit acquis. Outre la dif-
ficulté de la définition du droit acquis qui constituait un
écueil, il y avait erreur. On confondait par là la recevabi-
lité du recours avec sa justification au fond. L'existence du
droit acquis assure la justification au fond, mais ce n'est
pas elle qui détermine la recevabilité ; pour la recevabilité
du recours il suffit que la situation des parties soit telle
qu'entre elles un droit acquis ait pu naître, il n'est pas
nécessaire quHl soit né.
Il y a là une distinction avec laquelle nous a familiarisés
le recours pour excès de pouvoir, celle la recevabilité et du
débat au fond. Il suffit pour qu'un recours soit recevable
qu'il existe certaines conditions extérieures auxquelles ne
correspondent peut-être pas les conditions de fond néces-
saires pour sa réussite. En d'autres termes, pour la receva-
bilité, il suffit que la situation soit « contentieuse » comme
on disait, mais en prenant bien soin de ne plus définir la
situation contentieuse par le droit acquis déjà réalisé.
2° Non seulement ce fut une faute de ne pas établir le
recours uniquement sur la situation contentieuse, mais c'en
fut une autre de ne pas considérer la situation contentieuse
comme créée uniquement par l'acte d'administration lui-
même ou par l'action administrative. Voilà surtout la no-
tion qui manqua à l'école de Serrigny, elle ne posséda pas
la théorie de l'acte d'administration qui, en eifet, ne s'est
organisée que par le développement de celle de l'excès de
pouvoir; on entrevoyait peut-être la vérité vers 1860, mais
on ne la voyait pas clairement; on ne savait pas encore
que la vertu de produire le contentieux est inhérente à
l'acte d'administration lui-même, puisqu'il est dans sa
définition de constituer décision exécutoire et de produire
effet de droit, puisque les agissements administratifs qui
ne présentent pas ces caractères ne sont pas des actes d'ad-
ministration au sens juridique du mot. Aujourd'hui nous
avons cette science de l'acte d'administration et de son
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 4o
effet contenlieux (Cfr. Laferrière, op. cit., t. II, p. 420 et s.)
nous devons en tirer les conséquences; si nous ne Tavons
point fait jusqu'ici c'est pur défaut de logique ou pure
inattention. II. est visible que parmi les conditions de rece-
vabilité du recours contentieux pour excès de pouvoir, la
plus importante est celle-ci : il faut qu'il y ait acte d'ad-
ministration (décision exécutoire produisant efTet de droit,
etc.); les autres conditions de qualité de la personne, de
délais, d'absence de recours parallèle, sorit secondaires;
c'est en somme l'acte qui crée le contentieux par sa nature
propre. 11 est naturel de penser qu'il en est de même pour
le recours contentieux de pleine juridiction et que la si-
tuation contentieuse est là aussi créée par l'acte lui-même.
Si cette situation contentieuse ne présente pas les mêmes
caractères que celle qui résulte de l'acte de puissance pu-
blique, si elle aboutit à un contentieux de pleine juridic-
tion et non pas seulement d'annulation, c'est parce que
l'acte de gestion est lui-même très différent de l'acte de
puissance publique et que l'administration, au lieu de s'y
manifester à l'état de commandement, s'y manifeste à l'état
de collaboration.
Ainsi le contentieux administratif de pleine juridiction
est créé, non plus par la réunion de deux éléments, un
acte de l'administration et la violation d'un droit acquis
de l'administré, mais par un seul élément complexe, un
acte de gestion ou, si l'on veut, un acte de l'adminis-
tration intervenant dans une situation de gestion. Par
cette nouvelle position du problème on échappe au cercle
vicieux de la détermination légale du droit acquis dans
lequel étaient restés enfermés les premiers champions du
droit administratif, ceux que nous devons appeler nos
ancêtres. Examinons dans un certain détail le problème
ainsi posé en distinguant la question de la recevabilité du
recours, de celle de la justification au fond.
I. La gestion administrative, analysée en une collabora-
lion de l'administration et de l'administré, explique par
L.
46 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
elle-même la recevabilité du recours contentieux de
pleine juridiction intenté par l'administré. En sonmme, ce
recours est Taclion d'une sorte d'associé qui demande un
règlement de compte, qui réclame sa part, dans la mise
sociale ou dans les bénéfices. L'administration a accepté
la coopération de l'administré, elle est donc d'une certaine
façon vis-à-vis de lui dans la situation pro socioW\ elle
s'est compromise avec lui, c'est-à-dire qu'en fait elle a
laissé s'établir ce compromis qui constitue le fond de toute
société et qui conduit à soumettre à l'arbitrage d'un juge
les difficultés et les litiges qui s'élèveront. Ce juge est spé-
cial, ce juge appartient en partie à l'administration elle-
même ; cela tient à ce qu'elle n'a pas abdiqué son caractère
et qu'elle reste, ainsi que nous le verrons plus tard, une
puissance publique collaborant avec des particuliers; mais
pour l'instant nous ne voulons retenir que ce qui con-
cerne les pouvoirs de ce juge, il a pleine juridiction, il a
tous les pouvoirs nécessaires pour statuer sur le litige et
rétablir la paix. Sans doute, il rétablira la paix en disant
le droite mais être saisi d'un litige pour dire le droit cela
ne signifie pas être saisi en ve7*fu d'un droit du réclamant,
cela est très différent, cela signifie appliquer la règle de
droit. La lâche du juge, quand il statuera, sera bien, en
disant le droit de constater que le réclamant avait ou
n'avait pas un droit acquis, mais au moment de la receva-
bilité, cette question ne se pose pas encore , le recours est
recevable : 1" parce qu'un litige s'est élevé et qu'il faut
réiablir la paix en disant le droit quel qu'il soit; 2** parce
que les deux parties sont dans un tel état de société l'une
avec l'autre, qu'elles ont accepté le compromis qui permet
l'arbitrage et c'est la situation de gestion qui les a mises
ainsi en société.
Ce n'est pas ici le lieu d'étudier avec tous les dévelop-
(1) Au § 3 nous serrerons de plus près la véritable nature juridique de
la coopération qui fait le fond de la gestion.
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 47
pements que la malière comporterait la nature du débat
sur la recevabilité des actions, mais il apparaît que ce
débat est relatif essentiellement à la question de savoir si
les parties sont dans un état de société suffisant pour avoir
accepté ou pour être censées avoir accepté la clause com-
promissoire, subsidiairement à celle de savoir si la récla-
mation actuelle rentre bien dans la sphère du compromis»
Le fait d'un compromis exprès ou tacite, volontaire ou
forcé, amené par Tétat de société est généralement admis
à la base des procédures et de l'introduction des instan-
ces (*).
(1) L'opinion générale est que les hommes, ou plutôt les groupes hu-
mains, les clans, les tribus, les familles ont commencé par se rendre jus-
tice eux-mêmes ; il y a d'abord eu des guerres que l'on appelle privées ,
quoiqu'elles soient aussi bien internationales par certains côtés; ces
guerres ont dégénéré en des voies d'exécution privées ne supposant pat>
nécessairement l'intervention d'un magistrat, soumises seulement à des
formes réglées ; puis la puissance publique qui s'est constituée au-dessus
de ces groupements primitifs a proposé son arbitrage ; celui-ci dut d'abord
être accepté expressément, ensuite l'acceptation devint tacite et forcée. Ce
long processus historique, cette lente acceptation de l'idée de l'instance ju-
ridictionnelle telle que nous la concevons aujourd'hui sont également sai-
sissables dans les rapports qui sont devenus le droit privé et dans les rap-
ports internationaux :
1» Pour le droit privé romain les témoignages sont précis. Sous le sys-
tème des actions de la loi et encore sous le système formulaire, l'instance
ne peut s'engager que par la comparution personnelle des deux parties,
une première difficulté est d'amener le défendeur à se présenter ; c'est
que la procédure doit se nouer entre les deux parties, le magistrat ne joue
qu'un rôle d'assistant (Girard, Manuel élémentaire de droit romain^ 2-
édit., 1898, p. 162, 979) ; d'ailleurs, le droit de justice privée est resté
intact pendant toute la République à côté des instances judiciaires (eod
p. 944) ; — On emploiera bien des moyens de contrainte indirects, pour
assurer l'effet de Fin jus vocatioy mais la véritable sanction de l'obligation
d'accepter l'instance, c'est-à-dire le jugement par défaut, n'apparaîtra
qu'avec la procédure extraordinaire et ne sera complètement constituée que
sous Justinien (eod.j p. 979, p. 1035, p. 1043) — Sous la procédure for-
mulaire la Utis contestatio marquera le moment où le défendeur ayant
accepté la formule, le contrat judiciaire est noué et les effets novatoiies
de la litiê contestatio s'expliquent par cette idée (Wlassack, Utia contestatio in
48 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
Ce compromis n'existe visiblement qu'entre les hommes
qui font partie de la même société ; pendant longtemps les
nationaux ne plaident pas avec les étrangers(0; d'un autre
formular process^ 1889. Cfr. Girard, eod., p. 981). Le juge devant lequel
8e déroulera la procédure in judicio est également accepté par les deux
plaideurs, etc., etc. D'une façon générale, toute la procédure romaine ordi-
naire a la physionomie d'un arbitrage accepté (E. Cuq, Les instUutions
Juridiques des Romains, -r L'aticien droit^ 1891, p. 406; Jobbé Duval, Étti-
des sur Vhistoire de la procédure civile chez les Romains 1896, 1, p. 57 ;
Mathiass, die entwicldung des rômischen schiedsgerichts^ p. 9 et s.), et
d'ailleurs tout le droit privé romain semble procéder d'un pacte conclu en-
tre des familles (Cuq, op, cit., p. 738).
Le mt'me développement se retrouve dans le droit franc et chez quan-
tité de peuplades primitives (E. Qlasson, Histoire du droit et des institu-
tions de la France y I, p. 122; III, p. 390 et s. — Declareuil, La justice
dans les coutumes primitives ^ Nouvelle revue historique, 1889, t. XIII, p.
153, 363. — Kowalewski, Coutume contemporaine et loi ancienne, — Bris-
saud, Manuel d'histoire du droit français, 1899, p. 480, 667 et 632).
2® Dans le droit international public, la marche suivie est analogue :
d'abord, les États se rendent justice eux-mêmes par la guerre, il se crée des
formes et tout un droit de la guerre ; plus tard l'intervention de tiers, qui
représentent un ordre public international se manifeste par la médiation
et l'arbitrage ; l'arbitrage doit d'abord être accepté dans chaque cas par-
ticulier par les intéressés, puis des États se lient par des traités per-
manents d'arbitrage, enfin, à mesure qu'un ordre public international
s'affirme, apparaît l'idée d'un arbitrage imposé (Cfr. Pillet, le droit d^ la
guerre; Rouard de (>ard, Lqs destinées de l'arbitrage international; Méri-
gnhac, Traité théorique et pratique de T arbitrage international, etc.
Or, dans les rapports de l'administration et des administrés, le proces-
sus historique du litige est le même, avec cette observation que seule ici
l'administration a le droit et le pouvoir de se faire justice elle-même.
C'est par là, qu'elle commence. Par de simples décisions administratives
elle réalise entièrement son droit d'une façon extra juridictionnelle (V^.
mon précis de droit adm., p. 871. Cfr. Girard, op, cit.,\), 944). Seulement,
les intéressés protestent et c'est sur la réclamation qui suit cette réalisation
administrative du droit, qu'un véritable procès va s'engager, c'est ici que
se pose la question de savoir si l'administration acceptera ou n'acceptera
pas le rôle de défendeur.
(1) A Rome, l'organisation des procès entre citoyens et pérégrins
devant le préteur pérégrin est considérée comme ne remontant pas au delà
de la loi Silia^ qui elle-même n'est pas plus ancienne que le v® siècle.
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTl
côté, des rapports sociaux d'une nature spéciale
nent l'organisation d'une juridiclion spéciale, parce
compromis n'est pas le même et ne donne pas au j
même mission ; c'est ainsi que, dès le début, les ch
voulant faire société à part dans le monde païen,
conduits à soumettre leurslitiges à l'arbitrage de l'i
ce qui a engendré la juridiction ecclésiastique ('
ainsi encore qu'au moyen âge les marchands, cons
une classe à part, ont soumis leurs différends à de
spéciaux qui, dans notre pays, ont survécu sous le i
juges consulaires (^).
Le compromis qui permet de nouer l'instance n'et
pas d'ailleurs que la sentence du juge ne doive ensu
acceptée par la partie condamnée. Nous voyons p;
ment dans les procédures primitives que l'accepta
jugement est en partie volontaire, qu'elle ne peut ê
posée que par des procédés indirects^.
(Cfr. Pernice, Labeo, t. III, p. 234 ; Girard, L'Hutoire de la <
a. R. h., 1895, p. 418.— En seoB oppoaé, Jobbé-Duval.^torfe »ur
de la procédure civile chez lee Romains, I, p. 125). Quoi qu'il en s
leurs, du r61e joaé par ia loi Silîa eo cette matière, il est certai
a en une époque où le pérégrin était obligé de s'adresser aux boi
d'uD citoyen, d'un liflte, lorsqu'il avait un procès ù soutenir devai
tice romaine. Dans notre ancien droit l'étranger demandeur ne f
à ester en justice qu'à la condition de foaniir la caution jutScof;
(1) V. Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français,
1898, p. 1£3 et fi.
(2) Il n'est pas douteux que les tribunaux conBulaires sont née
ciété spéciale établie entre les marchanda et qu'ils eurent au d
compétence ratione personœ. Gfr. Thaller, De la place du comnM
l'histoire générale. Annales de droit commercial, 1892, p. 197 et
son, Le» consuls des marchands, Nouvelle revue hisf., année 18
ets.; François Motel, La Juridietion commerciale au moyen âge, "Pa
HuTelin, Essai historique sur le droit des marchés et des foin
1897; Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, 1898, p. 1
La Hooiété établie entre l'administration et l'administré étant i
spéciale, il est naturel que le juge chargé du contentieux soit spé
(3) V. M. Esmâ-a, Lachosejugée dans le droit de la monarchie
Nouvelle revue hisbirique, 1886, p. 545.
H.
SO LA GESTION ADMINISTRATIVE.
A ces divers points de vue, notre contentieux adminis-
tratif est à une phase très intéressante de son évolution.
D'une part, l'administration n'accepte la sentence ren-
due par le juge que parce qu'elle le veut bien et qu'elle
s'y contraint elle-même, la partie adverse n'a aucun
moyen d'obtenir l'exécution forcée. D'autre part, si le com-
promis juridictionnel existe au point de vue de l'introduc-
tion de l'instance, c'est encore bien imparfaitement. Dans
la plupart des affaires il reste tout volontaire, l'administra-
tion n'accepte le juge que si cela lui plaît. En effet, en
principe c'est elle qui crée le contentieux et voici comment :
les recours contentieux sont des recours contre l'acte
d'administration; ils ne peuvent être intentés que contre
un acte dans lequel l'administration précise ses droits, les
détermine elle-même; or, l'administration peut s'abstenir
de déterminer son droit par une décision; même dans les
cas où elle en est sollicitée par une réclamation gracieuse,
elle peut refuser de se prononcer ; donc, quand elle se pro-
nonce, elle crée le contentieux volontairement.
Le compromis n'existe de plein droit que dans deux hy-
pothèses : 1° lorsque l'administration peut être actionnée
directement, sans qu'une décision administrative sur la
réclamation doive être sollicitée au préalable, ce qui est
rare et même anormal en matière de recours contentieux
administratifs(i) : 2** Lorsque la décision administrative préa-
lable étant nécessaire, l'administration est obligée par la loi
(1) On peut soutenir en effet que la compétence de la juridiction admi-
nistrative est essentiellement objective, qu'elle n'existe qu'à roccasion
d'un acte de l'administration.
Quant aux actions judiciaires intentées contre l'administration, elles
le sont directement contre la personne sans qu'il y ait lieu à décision admi-
nistrative préalable, et, cependant, même ici, il existe un détail de procé-
dure bien significatif : le demandeur doit avant d'engager l'instance, dé-
poser un mémoire. Cette formalité est pour permettre à l'administration
d'échapper à l'instance en donnant satisfaction au demandeur. Ici, elle ne
peut pas refuser le juge, mais elle tient à l'éviter. Cfr. Taon précis de droit
administratif p. 873.
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 81
à se prononcer dans un sens quelconque et que son silence,
passé un certain délai, est assimilé à une décision de rejet atta-
quable (D. 2 nov. 1864,art. 7). Seulement, ce quiprouvebien
que le compromis arbitral après avoir été volontaire tend
à devenir forcé, c'est que le législateur manifeste l'inten-
tion d'entrer de plus en plus dans cette voie d'obliger l'ad-
ministration à statuer sur les réclamations gracieuses, afin
de nouer le contentieux et que cela est approuvé par la
doctrine W,
En résumé, nous sommes en droit d'affirmer que con-
formément à un processus historique très général, la rece-
vabilité du recours contentieux ordinaire s'explique par
un compromis établi entre l'administration et l'administré
par lequel l'un et l'autre acceptent l'instance, celle-là en
statuant de façon à rendre possible une réclamation, celui-ci
en formant la réclamation ; le compromis, d'abord exprès
et volontaire de la part de l'administration qui reste libre
de créer le contentieux par une décision ou de garder le
silence, tend à devenir tacite et forcé, la loi intervenant de
plus en plus pour contraindre l'administration à se pro-
noncer et créant de plein droit le contentieux au cas de
silence prolongé. Nous pouvons ajouter que le fait histori-
que qui a poussé les hommes dans tous les pays et dans
toutes les situations à accepter graduellement le compromis
arbitral, est celui-là même qui a poussé aussi l'administra-
tion, et que c'est l'augmentation de société. De telle sorte
que si l'administration accepte toujours davantage le débat
(1) Cfr. Laferrière, op. cit., II, 433, au sujet d'une disposition d'un pro-
jet de loi déposé le 21 juillet 1894 ; —à signaler aussi la disposition de l'art.
16, § 3 de la loi du 1®*^ avril 1898 sur les sociétés de secours mutuels :
«Papprobation ou le refus d'approbation doit avoir lieu dans le délai de trois
mois 3>. Bien que ce texte ne soit pas rédigé d'une façon très claire, il me
paraît qu'il a eu pour but de forcer l'administration à statuer et à engager
le contentieux, que par suite le silence gardé pendant plus de trois mois
équivaudra à décision de rejet; — à signaler enfin la disposition des art. 14
et 15, D. 12 avril 1880, sur les élections des consistoires protestants qui,
elle, est parfaitement claire.
^^t^
52 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
corilenlieux, c'est parce qu'elle fait davanlage société avec
l'administré. Et si elle fait société plus intime avec l'admi-
nistré, c'est parce que dans la gestion administrative elle
accepte sa collaboration.
Je ne voudrais pas compliquer à plaisir une matière déjà
bien assez difficile, pourtant il est des explications complé-
mentaires dans lesquelles il me faut entrer sous peine de
laisser sans réponse deux objections que le lecteur ne man-
querait pas défaire:
1** La première objection est la suivante : il existe deux es-
pèces de contentieux administratif, il y a celui delà pleine
juridiction, mais aussi celui de l'annulation; dans les deux
espèces de recours se pose la question de recevabilité; on
nous explique la recevabilité du recours contentieux ordi-
naire en invoquant simplement l'état de société établi entre
l'administration et l'administré et le compromis arbitral
créé par l'acte de gestion; mais alors, on doit expliquer la
recevabilité du recours en annulation de la même façon,
en invoquant simplement l'état de société établi entre l'ad-
ministration et l'administré, et le compromis arbitral créé
par l'acte de puissance publique. Est-ce que par là on n'a-
boutit point à la confusion des deux espèces de contentieux,
ou bien y aurait-il deux degrés différents de société établis
entre l'administration et l'administré? L'acte de gestion et
l'acte de puissance publique crééraient-ils deux espèces
différentes de compromis arbitral conférant au juge, l'un
des pouvoirs de pleine juridiction, l'autre seulement des
pouvoirs d'annulation?
Je crois avoir répondu d'avance.
La distinction du contentieux de la pleine juridiction
et de celui de l'annulation subsiste parce qu'en effet il y a
bien deux degrés de société établis entre l'administration et
l'administré et parce que l'acte de gestion ne crée pas le
même compromis arbitral que l'acte de puissance publi-
que.
La société établie entre l'administration et l'administré
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 53
dans les hypothèses de gestion est à base de collaboration
ainsi que nous TaYonsdéjà répété à satiété; mais il y a une
autre forme de société qui est à base de cohabitation ; Tad-
ministration et l'administré cohabitent sur le même terri-
toire légal, ils ont des rapports de simple voisinage, leurs
pouvoirs réciproques ou leurs libertés sont enfermés dans
des sphères légales comme dans Tenclos de deux héri-
tages contigus; les rapports de voisinage ont quelque
chose de moins étroit que ceux de collaboration; des
collaborateurs peuvent être tenus à des prestations posi-
tives Tun envers Tautre; au contraire, des voisins ne sont
guère obligés qu'à s'abstenir de certains actes, à ne pas
sortir de leur droit par des procédés dommageables. On
conçoit dès lors que, dans les situations de gestion, l'admi-
nistration accepte un compromis arbitral de pleine juridic-
tion, conférant au juge le pouvoir dé constater des obliga-
tions positives à sa charge , de réfprmer ses actes, de la
condamner à des indemnités, et qu'au contraire dans l'acte
de puissance publique elle n'accepte qu'un compromis
arbitral de portée moindre, ne conférant au juge que le
pouvoir d'annuler les actes par lesquels elle est sortie de la
légalité qui est la limite de son droit à elle, c'est-à-dire de
sa puissance.
On remarquera que ces deux formes de société, la colla-
boration ou la cohabitation, ne sont point inventées ici pour
les besoins de la cause, elles sont fondamentales et si elles
se manifestent dans les rapports de l'administration et des
administrés, c'est qu'elles existent d'une manière générale
dans les rapports des hommes. La seule différence est que
dans les rapports sociaux ordinaires, grâce à l'institution
de la propriété, la cohabitation et les relations de voisinage
ne s'établissent pas seulement sur le terrain légal mais sur
le territoire matériel, sur le sol réel, parce que la propriété
incorpore au sol un certain ordre ou une certaine hiérarchie
de pouvoirs contigus. Toujours est-il que l'on distingue
deux grandes formes de solidarité sociale, celle qui est
54 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
fondée sur la coopération, par suite sur la collaboration
des libertés et des pouvoirs, et celle qui est fondée sur
la cohabitation, c'est-à-dire sur la contiguilé des pou-
voirs.
2* La deuxième objection, aussi facile à réfuter, est celle-
ci : nous semblons méconnaître le principe essentiel de
toute procédure, pas d'intérêt pas d'action; nous ne faisons
pas figurer parmi les conditions de la recevabilité du re-
recours contentieux ordinaire, la violation du droit du ré-
clamant; alors, au nom de quel intérêt le réclamant va-t-il
être admis à former un recours? La réponse est aisée, au
nom de l'intérêt même qu'il allègue comme un droit, mais
que nous ne savons pas encore être un droit et qu'il nous
suffit de considérer comme un intérêt, que, par conséquent,
nous n'avons pas à mentionner spécialement. Je prends
l'exemple des arrêts Cadot et autres (V. p. 10) ; des em-
ployés municipaux révoqués ont demandé une indemnité
au conseil municipal qui la leur a refusée, un contentieux
de pleine juridiction est né de cette décision de refus. Ces
employés avaient-ils intérêt à former recours devant le
Conseil d'Etat? Évidemment, on a toujours intérêt à tou-
cher une indemnité; à ce point de vue donc le recours était
recevable. Cet intérêt constituait-il un droit? c'est une
question qu'il n'y avait pas à se poser au moment de la
recevabilité, mais seulement au moment du débat au fond.
En fait le Conseil d'État fa tranchée par la négative par
décision au fond, mais il avait commencé par déclarer le
recours recevable. Ainsi il n'y avait pas droit acquis violé,
mais cependant il y avait intérêt à l'action (*).
IL Je considère comme un résultat important d'avoir
(1) Il faut remarquer que dans la théorie du recours pour excès de
pouvoir, conformément au principe, un simple intérêt suffit à la recevabi-
lité du recours. Même dans l'hypothèse du recours fondé sur la violation
de la loi et du droit acquis, ce n'est pas au moment de la recevabilité qu*il
est besoin d'invoquer le droit acquis, c'est seulement au moment du débat
au fond ; la violation du droit acquis n'est pas une condition de recevabi-
LA GESTION BT LE CONTENTIEOX DE PLEINE
expliqué la receTabilité du recours coutei
par le seul effet de l'acte ou de la situation
avoir à invoquer le prétendu droit acquis
Toutefois nous n'aurions gagné qu'une den
doctrine de la détermination légale, si nous
pas à établir maintenant que dans le débal
faut nécessairement que le droit acquis so
tuation de gestion vient gravement influe
naissance du droit de l'administré contre
en ce sens que, d'une certaine façon qui
elle rend inutile la détermination légale d
reprenons l'exemple des arrêts Cadot, Dra
etc. (V. p. 10) dans lesquels des employés m
qués réclamaient des indemnités de ré
-voyons que la situation de gestion dans 1
vaient les fonctionnaires, collaborateurs de 1
explique la recevabilité des recours; mai
aussi que la même situation de gestion au
le juge à reconnaître au fond le droit de 1'
demnité de révocation, bien qu'aucun test
nistratives n'ait déterminé jusqu'ici ce droi
Nous abordons ici un nouvel ordre de
qui n'est autre que la théorie des droits si
ministres. Cette théorie qui a donné lieu à
importante dans les pays étrangers (^) vien
introduite en France, du moins à titre d
lité, elle est une ouverture, c'est-à-dire l'espèce d'exc
s'agit de justifier au fond.
Il en est de même absolument pour le recours co
la violation da droit acquis n'est à invoquer que pou
fond ; l'intérêt seul importe à la recevabilité. Si ces |
pas classiques, c'est que la théorie du contentieux ordi
gligée depuis quarante ans, on n'y a pas introduit ei
nécessaire de la recevabilité et du débat au fond.
(1) V. notamment ; Jellineck, System, der a«%
Reckle, Friboarg, 1892 ; Longo, La teoria dei diriiti
il dirrito amministrativo italiano, Palerme, 1892, 84 [
56 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
cole(*). Une série d'auteurs, dont l'éminenl maître M. Da-
crocq est le dernier, avaient longuement et consciencieu-
sement étudié ce qu'ils appelaient la réglementation
administrative des principes du droit public français ou les
principes du droit public mis en œuvre par les lois adminis-
tratives; dans la septième édition de son Cours de droit
admimistratif, M. Ducrocq consacre encore en entier le
troisième volume à cette rubrique ; mais s'il y a dans cette
œuvre considérable un catalogue très détaillé des droits
publics des administrés tels qu'ils résultent de la détermi-
nation légale des innombrables textes qui I«s régissent,
l'auteur n'a pas eu l'intention d'engager de discussion
de principe sur les caractères généraux de la légalité
en cette matière, ou sur la question de savoir si, à défaut
de la loi, il ne se produit point dans le régime d'État une
création spontanée de droits subjectifs des administrés qu'il
appartiendrait à la jurisprudence de consacrer. Le travail
de M. Barthélémy, cité en note, qui vient de poser la ques-
tion sous sa forme théorique, ne nous sera lui-même
d'aucun secours en ce qui concerne les droits subjectifs
des administrés nés des opérations de gestion, car, malgré
quelques rubriques qui pourraient faire illusion, il ne con-
tient pas de théorie de la gestion; il ne constitue, et c'est
déjà un suffisant mérite, qu'un excellent essai sur les droits
subjectifs des administrés par rapport au contentieux de
l'annulation, notamment par rapport au contentieux de
l'excès de pouvoir. Or, la théorie des droits acquis est bien
différente suivant qu'il s'agit des situations de puissance
publique qui n'engendrent qu'un contentieux de l'annu-
lation, ou des situations de gestion qui engendrent un con-
tentieux de pleine juridiction. Les observations déjà pré-
sentées à la p. 53 le font comprendre aisément.
(1) Par M. J. Barthélémy, Essai d'une théorie des droits subjectifs des
administrés dans le droit administratif français, Paris, Larose, 1899, iii-8°,
204 p.
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 57
Dans la situation de puissance publique les relations de
l'administration et de l'administré sont de pur voisinage ;
quand Tadministration accomplit des actes de puissance
publique, elle est censée agir pour elle-même, elle est
comme un propriétaire qui dans son enclos exerce les
pures facultés qui sont contenues dans le droit de propriété
sur la chose; la matière est, comme disent les Allemands
objective (*), Tadministration est obligée seulement à ne
pas sortir de la légalité en tant qu'elle règle la chose
publique; les actes de puissance publique qui violent la
légalité entendue de cette façon objective sont annulés.
Dans ces conditions les droits ou les intérêts légitimes que
les administrés peuvent invoquer sont envisagés, eux
aussi, sous des rapports de pur voisinage, ce sont les
libertés dont ils jouissent dans leur enclos légal contigu
à celui de l'administration, ou bien ce sont les avantages
que l'administration leur a concédés sur son propre do-
maine à titre de possession plus ou moins précaire. Si Ton
A^eut, la théorie des droits subjectifs des administrés dans
les situations de puissance publique est une variété très
(1) La distinction de Tobjectif et du subjectif a peut-être plusieurs
sens. Dans tous les cas, en voici un fort intéressant : une situation juri-
ridique est objective lorsque par elle-même elle n'implique pas relation de
droit entre les parties en présence, elle est subjective lorsqu'au contraire
par elle-même elle implique relation de droit. A ce compte, tandis que les
droits de créance correspondraient à des situations complètement subjec-
tives, les droits réels correspondraient à des situations en partie objectives,
par cela même qu'ils sont en partie absolus, c'est-à-dire en partie sous-
traits aux relations juridiques des parties en présence. Notamment, la
théorie des actes de pure faculté serait objective, car elle serait en dehors
des relations juridiques de voisinage, elle représenterait la partie du droit
de propriété qui est véritablement in re, La propriété aurait ce privilège
de donner lieu, comme la puissance publique, à des actes purement objec-
tifs correspondant aux actes d'autorité, elle serait le pouvoir privé fai-
sant équilibre à la puissance publique. Nous aurons plus loin Toccasion
de revenir sur ces considérations qui sont appelées à jouer un grand rôle
dans le contentieux.
58 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
originale soit de celle des ioconvénienls de voisinage et des
actes de pure faculté, soit de celle de la possession.
Dans la situation de gestion, la théorie des droits sub-
jectifs des administrés est bien différente. Là, les deux
parties en présence ne sont pas à Tétai de voisinage, mais
à Tétat de collaboration; il naît de cette collaboration un
negotium que je ne cherche pas à caractériser encore exac-
tement, qui n'est pas toujours un contrat, mais qui se rap-
proche toujours d'un contrat, qui, dans tous les cas, crée
une situation plus voisine des rapports contractuels que
des rapports de droit réel. Quand l'administration fait des
actes de gestion, ce n'est plus seulement pour elle-même
c'est aussi pour son collaborateur; les allemands diraient
que la situation devient subjective^ c'est-à-dire qu'elle tend
par elle-même à engendrer des droits pour l'administré,
et le plus souvent des droits nouveaux, des avantages
créés par la collaboration elle-même.
La théorie des droits acquis dans les matières de gestion
est donc toute particulière. Je ne sache pas que l'organi-
sation en ait été tentée ni en France, ni ailleurs, car on
s'apercevra que la notion de la gestion est très française.
Voici quelles sont à mon avis les données du problème,
la gestion administrative étant analysée en une collabo-
ration : 1° quels sont les droits qui peuvent être déduits
du fait même de la collaboration au profit de l'administré ;
â^'quel rôle joue ici la légalité dans la détermination de ces
droits?
A. Gomme la gestion est une collaboration et la collabo-
ration une forme de société ou d'association, on est auto-
risé à traiter l'administré comme un associé toutes les fois
qu'il est impliqué dans une situation de gestion (^). Or,
(1) Art. 1842, C. civ. : a le contrat par lequel plusieurs pOTSonnes
«'associent, soit pour une entreprise désignée, soit pour rexercice de
quelque métier ou profession est aussi une société particulière ». Il faut
appliquer cette définition mutatis mutandiSj dans la gestion il n^ a pas
contrat de société, mais seulement société par situation d'état (infrà, § 3).
LA GESTION ET LE CONTENTIEUX DE PLEINE JURIDICTION. 39
l'administré envisagé comme associé peut être co
comme muai (nous verrons plus tard comment
quelles concessions de la puissance publique) d
espèces de droits : 1° il a droit à ce que son coass
fectue tout son apport et ne cause à la société aucu
mage par sa faute (Cpr., art. iSiS et s.; art. 1830, (
Ce premier droit, ou si l'on veut cette première ce
de droits, trouve sa réalisation dans le droit à ind
qui naît au profit de l'admiDistré toutes les fois qi
une matière de gestion un préjudiee lui est causé
de l'administration. On peut interpréter cette ind
comme provenant d'un apport dû par l'administralio
port d'une assurance contre les accidents adminis
on peut l'interpréter aussi comme provenant d'unf
mais ce n'est pas la faute quasi-délicluelle de l'articl
c'est la faute presque contractuelle d'un collaborate
une situation qui se rapproche de celle de l'art. 1
civ. Dans les deux cas le droit à indemnité est de
administrative; 2" l'administré, considéré comc
socié de l'administration, a droit en outre à ne i
quant à lui que sou apport légal (ce qui explique ]
tentieux des impôts directs, celui du recruteme
litaire, etc.) — il a droit au règlement définitif d
treprise lorsqu'il s'agit d'une opération à terme fixe i
un marché de travaux publics ou un marché de
tures — il a droit enfin au partage des bénéfices, st
forme de distributions périodiques telles que les m
lités des traitements des fonctionnaires, soit sous fo
droits constitués tels que le droit à pension des fonctioi
ou le droit sur la fonction qui constitue l'état des
fonctionnaires (grade, chaire, siège, office, etc.). Ces
tionsnesontpas complètes, mais dans les grandes lîgn
correspondent à deux catégories très certaines du c
lieux de la pleine juridiction, le contentieux desdoni
et des indemnités, d'une part et, d'autre part, le contt
qui tend à la garantie de droits positifs nés de la g
60 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
B. Au reste, quels que soient au juste les droits qui
naissent de la gestion, la question importante est celle
du rôle que joue la légalité dans la détermination de ces
droits. Faut-il admettre que dans chaque cas particulier,
à Tappui de chacun de ces droits, il doit être allégué un
texte spécial plus ou moins adapté par Tinterprétation du
juge? Ou bien ne peut-on pas soutenir que la situation de
gestion étant en soi légale, et le droit qui naît spontané-
ment de la gestion participant à cette légalité originelle,
ce droit se trouve par là même avoir une détermination lé-
gale suffisante?
Pour ma part, je me rallie à la seconde opinion. J'estime
que le principe de la gestion étant certainement consacré
par Fensemble de la légalité, il est conforme à Tordre légal
que l'administration à Tétat de collaboration s'oblige envers
sescoUaborateurs; que, par conséquent, dans chaque cas par-
ticulier de gestion, les conditions même de la collaboration
sont la loi des parties; qu'il n'est point nécessaire qu'elles
aient été fixées par des textes, que la gestion suffît à faire loi.
Par suite, la reconnaissance des droits acquis des admi-
nistrés dans la gestion devient une question d'appréciation
des conditions de la collaboration et d'interprétation des
intentions de l'administration. Je ne dirai pas que le juge
doit interpréter la commune intention des parties, parce
qu'il n'y a pas d'acte où cette commune intention se soit
formée (sauf dans les actes de gestion contractuels), mais il
doit interpréter les actes de l'administration et les situations
de fait qu'elle a laissées se créer comme condition de la col-
laboration avec la pensée que ces événements tendent natu-
rellement à consacrer des droits au profit des collaborateurs»
Souvent, les actes de l'administration qui seront in-
tervenus dans des situations de gestion seront des règle-
ments, tels par exemple les actes réglant la situation des
fonctionnaires. Parla, on revient à la détermination légale.
Mais quelquefois aussi les actes de l'administration auront
créé une situation de fait qui n'aura pas été directement
LA GESTION ET LE CONTENTIEirs DE PLEINE JURII
réglée, et tes circoûsUnces seront telles qu'or
pas admettre la précarité de la sîluatioQ. Te
des aisances de voirie dont il a été question
L'administration a ouvert une rue, comptant bi
garnir de maisons; les riverains oat bâti les
pris sur la rue leurs accès et leurs vues; il c
sible que l'administration, ayant ainsi bénéfi
cours des riverains, ne leur ait pas accordé ei
droits fermes de vue et d'accès. En somme, l'in
des fûtentions de l'administration dans les situai
a laissées se créer comme condition de la colli
réduit à une question de bonne foi de sa part e
tombe admirablement sous Varbilrium du juge
Les principes qui viennent d'être posés doivi
être entendus avec des tempéraments.
D'une part, toutes les opérations de gestion
pas au même degré l'interprétafion de bonne f(
la poussait trop loin, présenterait des inconvéi
Il y a un point d'équilibre qu'il ne faut pas (
collaboration qu'il y a dans la gestion ne doit i
blier que la gestion est pour le service public
vent si l'administration se montrait trop large v
entrepreneur, d'un fournisseur, d'un concessi
serait au détriment du public. Par exemple, il
hésiter à interpréter dans un sentiment restric
venlions passées avec des concessionnaires
constituent au profit de ceux-ci des monopoles
lourdement sur les populations. Nous verrons
pbe suivant que la gestion laisse subsister de I
publique, c'est-à-dire un pouvoir qui n'est jam
ment lié; les conventions entraînant monopoles
les opérations de gestion qui laissent subsistei
puissance publique dans l'intérêt du public C).
(1) J'ai soutenu en conséquence que les traités passés paj
l'éclairage-au gaz n'auraient pas dû être inteipiétéa codi
62 LA GESTION ADMINISTRATIVE
D'autre part,, les droits des administrés apparaissent
d'abord dans le conntentieux pécuniaire. En général, le
juge sera enclin à les reconnaître sous la forme de Tin-
demnité plutôt que sous celle d'avantages positifs. Si nous
reprenons une fois encore, l'exemple des employés muni-
cipaux révoqués; dans Tétat actuel de la réglementation
des fonctions publiques le juge ne pourrait guère admettre
l'existence positive d'un état de ces fonctionnaires s'oppo-
sant à la révocation, leur conférant un droit sur la fonction,
une inamovibilité quelconque; il pourrait plus facilement
leur accorder une indemnité de révocation ou de déplace-
ment (cfr. p. 11). Tant que le droit naissant est vague et
informe encore, on sent bien que certaines violations de ce
droit appellent une indemnité, mais on ne saurait encore
préciser la physionomie particulière du droit.
Dans tous les cas, la conclusion essentielle qui ressort
avec une netteté suffisante, c'est que la théorie de la ges-
tion nous a permis, au point de vue du débat sur le fond
comme au point de vue de la recevabilité, de sortir de la
doctrine de la détermination légale; cette théorie, même au
point de vue du fond, restitue donc au contentieux ordi-
naire une source propre de développement; la jurispru-
dence administrative n'est pas plus asservie aux textes
particuliers ici que pour le recours pour excès de pouvoir,
elle peut suppléer à leur silence en consultant simplement
la conduite de l'administration, ce qui est d'autant plus fa-
cile que ses attaches administratives sont plus étroites et
que, dans une certaine mesure, elle est l'administration
jugeant elle-même ses propres intentions.
monopole pour toute espèce d'éclairage public et privé (Sirey, 1894, 3^
p. 1 ; eod.j 1896, 3, p. 129) ; que les garanties d^intérêts stipulées dans les
conventions de chemins de fer auraient dû être limitées à la date fixée en
1859-1863 puisqu'il n'y avait pas eu de prorogation expresse en 1883 (S.
97. 3. 1). Sur ces points je suis en désaccord avec la jurisprudence du
Conseil d'État et avec M. Aucoc (La justice administrative en France^
Annales de l'école libre des sciences politiques, 1898^ p. 675).
CARACTERES JURIDIQUES DE LA OÊSTIOl
. Les oaractèrflB juridique
administrative
Jusqu'ici nous nous sommes born
administrative une coopération, u
somme une association sui generts é\
tration et l'administré en vue du
notion bien qu'un peu vague nous a
cherche des cas d'application de la g
plicatioQ de la formation du contenli
tion. Mais le jurisconsulte ne se sati:
mations, tant que son analyse peut se
plus avant et il est rare qu'à précisi
son idée il ne lui trouve pas de no
ques, qu'à porter sa marche plus k
de nouveaux horizons. La coopératio
sont peut-être des notions économiq
que juridiques. Une association sm
cela est une notion juridique, mais i
reste à définir le caractère particulier
Observons d'abord, que la collabo
de la gestion s'établit entre des perso'
de ce chef il n'y a point d'obstacle à i
eSets de droit. Sans doute, nous
jusqu'ici pour la commodité du laog
virons encore de l'expression admini
de l'administré et de f administrûtio
sait que l'administration se résout e
nislratives et, que dès lors, dans I'e
DÎstré avec la personne morale État
raie Commune, ou la personne mot
64 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
a bien véritablement deux êtres possédant la capacité juri-
dique de s'associer. Cela dit, venons au caractère particulier
de cette sorte d'association.
I. La première question à régler est celle de savoir si
Tassociation sui generis entre l'administration et l'admi-
nistré qu'il y a dans la gestion est un contrat ou au con-
traire une situation d'état. Qu'elle ^ressemble à un contrat
cela n'est pas douteux, j'ai moi-même déjà invoqué cette
ressemblance; d'autre part, si le contrat n^est pas son type
il est certainement une limite quelle atteint parfois, car il y
a des actes de gestion contractuels (les contrats administra-
tifs), mais le type de la gestion est-il le contrat?
On est fortement tenté de Taffirmer, sauf à résoudre
ensuite la question subsidiaire de savoir si ce contrat serait
de droit privé ou de droit public. En principe, peut-on
dire, toutes les associations sont contractuelles ; sans doute
la société politique qui est en un certain sens l'association
fondamentale, n'est point contractuelle, du moins, elle ne
l'est pas complètement, la théorie du contrat social est aban-
donnée; mais aussi est-on en droit de se demander si la so-
ciété politique est bien véritablement un fait juridique;
elle ne le devient peut-être que dans la mesure, petite ou
grande, où elle est contractuelle. L'association établie entre
l'administration et l'administré en vue de la gestion du
service public serait donc une variété de 'contrat.
En fait, on a usé de cette explication dans des cas spé-
ciaux de gestion, par exemple lorsqu'il s'est agi de déter-
miner la situation juridique du fonctionnaire. Il y a une
quantité considérable de théories sur cette matière, surtout
en Allemagne pays des théoriesW; mais la plus générale-
ment soutenue allègue que le fonctionnaire est d^ns une
situation contractuelle. Tantôt il s'agirait d'un contrat
privé, louage de service ou mandat, c'est la forme que la
(1) V. A. Kammerer, La fonction publique d après la législation alle-
mande, Paris 1898, p. 66 et s.
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATH
Uiéorie a prise en France (<); taotôt on inclinerai
\ers un contrat de droit public, ce qui est la tend
Allemagne, sauf à interpréter encore de différente
le contrat (^). On se heurte bien à une difficulté, c
le contrat, même consensuel, a toujours été ce
comme exigeant un élément de forme, qui est ju
l'échange des consentements, et que, dans une opér.
à aucun moment ne se produit l'échange des consent
il parait difficile de voir un contrat. Or, la seule foi
se manifeste dans la nomination du fonctionnain
acte unilatéral de l'État ayant l'apparence d'un di
d'une ordonnance, c'est-à-dire un acte qui est aux ai
du contrat (^>. Mais on répond en niant la nécessité
lément formel du contrat et en affirmant qu'il y a
des qu'au fond la coexistence de deux consentement;
(1) Perriqnet, Les contrais de TÉtat, Paris, 1884, p. 444 ; — Di
juttice adminislraihe. Inédit., p. 372.
En Allemagne, la théorie du louage d'ouvrage est déjà ancienn
donnée depuis longtemps, celle du mandat également, Cfr. Kam
cii., p. 69, 71.
(2) Von der Becke, Von den elaatsâmleni utid glaalsdiener'n
Meisterlin, Die Verhalinis$e der ftaalsdieiter, etc. 1838 ; — Scha
GrUTidlimeit des aUgemeinen oder idéale» staalsreehU, 1845 ; -
Bayeritehes Staatsrecht, Munich, 1896, IX, p. 182 et s.; — Labai
recht des deutschen Rdchs, I, p. 386 et 394 ; — Stengel, Staat
Kônigreichs Preîiag«n,Marquaniaen,2'édit.l894, III, 2 g 38 p. 1!
reie, Ailgemeine Staatsrecht, Marquardaen, 1" i^dit. 1884, 1, 1 §
— Gaupp, Wurtlenhergiaches Staatsrecht, Marquardsen, 2° éd
III, 2, § 45, p. 140 ; — Sarwey, Staatsrecht des Kônigreichs Wù
1883 ; II, p. 276 ; — Rehm, Die rechtliche natur de» staafsdie
deutschen ttaaUrechl, dans les Annalen des deutschen Rdche»
Uunich, année 1884.
Cfr. Kammerer, op. cit., anqnel ces citations sont emprunt
et B-, et qui adopte lui-même la théorie du contrat de service pi
(3) G. Meyer, DeuUekes staatsrecht, 48 édit., 1895 ; Eônne, ;
der Freusêischen monarchie, i' édit., 1883, III; — Zora, Slaa
deutschen Reichet, 2* édif ., 1895, 1. — Cfr, M, Lamaude, professe
public k l'université de Paris à son cours ; Kammerer, op. cit., {
66 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
s'ils n'ont pas été échangés) engendre des droits et des obli-
gations réciproques (*)•
Celte théorie du contrat public a une portée très géné-
rale. On Ta appliquée à la naturalisation (^), à l'expro-
priation pour cause d'utilité publique (^); on Ta étendue à
des lois réglant la situation de certains groupes dépopula-
tion et qui cacheraient au fond des conventions publiques,
par exemple les lois organiques relatives aux cultes pro-
testant ou israëlite(*) etc..
J'avoue que je répugne à cette théorie du contrat pu-
blic. Elle n'est au fond qu'une résurrection de celle du
contrat social, avec cette variante que l'on supprime la fic-
tion du pacte initial qui seule faisait sa raison d'être. Je suis
de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de contrat sans pacte
et que les situations visées ne comportent point de vérita-
ble pacte. La vérité est que la gestion administrative et la
collaboration qu'elle recèle et tout ce qu'il y a d'associa-
tion sui generis dans Tafifaire s'explique autrement, par
ridée de la situation d'état.
Certes, la notion de la situation d'état n'est pas commode
à dégager, mais on conviendra qu'il est indispensable qu'on
en ait une. S'il existe une théorie juridique de l'État et si
elle s'éloigne du contrat social, il faut qu'elle s'appuie sur
un autre fait juridique qui ne saurait être que la situation
d'état, c'est-à-dire la situation même qui engendre l'État.
Pour moi, je vois la situation d'état dans toute forme stable
des rapports sociaux qui tend à s'exprimer par la loi ou
(1) Kammerer, op. cit., p. 93. On remarquera que cette discussion sur la
nécessité d'un élément formel dans le contrat n*est autre que la querelle
sur la nécessité de la causa civilis chère à nos romanistes de Fécole de
Ducaurroy, Pellat, etc. — Ce qui prouve qu'ils n'-avaient point tort d'y atta-
cher de l'importance.
(2) Kammerer, op. cit., p. 96.
(3) Eod.
(4) M. Cahen, Revue du droit puhliCj sept. 1897 ; la nature Juridiqtte du
concordat et les auteurs qu'il cite.
CAKACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRAT!
d'une façon plus générale par la réglementation lé{
La situation d'état se différencie donc du contrat i
mesure eï.acte où la loi s'en différencie elle-mémi
théorie du contrat social est impuissante à expliquei
elle l'est par lu même à expliquer la situation d'éta
Il y a dans la loi et dans la situation d'état ce [
élément commun qu'elles existent, non pas seulen
Tertu d'uD consentement émané des hommes, mais i
vertu d'une nécessité de l'organisme social ou d'un
tioQ (^); elles ne sont pas uniquement le produi
Tolonté individuelle, elles sont » tin rapport nécess;
découle de la nature des choses ». — Il y a ce seco
ment commun que pour la part oîi la loi et la si
d'Etat sont volontaires, elles ne reposent point i
consentements échangés dans un pacte, mais sur di
sions unilatérales plus tard silencieusement acceplt
actes unilatéraux sont des concessions faites par
puissant ou au contraire des usurpations; aux époi
progrès de la justice, ce sont des concessions. Ellei
vieanent au cours d'une marche parallèle et c'est
leur donne une valeur. Les hommes, emportés
même mouvement social, peuvent aller dans le méi
sans s'être concertés. En politique, l'action parall
partis est bien connue; elle n'existe pas qu'en po
elle est un fait très général de la vie sociale. Par elh
l'action parallèle ne lie pas les hommes, mais elle
une valeur aux actes qui interviennent et qui son
ture à lier, elle tend à transformer en lois les coi
d'activité qui se dégagent, et en situations d'état le
tions de fait.
Or, si la situation d'état correspond essentielle
(1) Je De dis pas « qui est en fait réglée par la loi oa qui pro
loi B, parce que je conaidÈre la situation d'état comme engendrât
traire la matière de la loi.
(2) Cfr. un intéressant passage de M. Esmein, Droit consfi
2'édit.,p. 754.
68 LA. GESTION ADMINISTRATIVE.
la loi, il est naturel qu'elle ait une valeur » légale », qu'elle
s'impose « comme une loi » aux parties intéressées, qu'elle
devienne la loi des parties et, d'autre part, si la loi, comme
la situation d'état, ont l'origine que nous venons de définir,
il est naturel que cette valeur légale soit différente de la
valeur contractuelle.
Il y a plusieurs espèces de situation d'état; il y a notam-
ment des situations de simple coexistence ou de simple
voisinage, et des situations de collaboration, d'association
active (v. p. 53 et p. 57). La situation d'élat créée par la
gestion administrative est de la seconde espèce.
L'exactitude de cette théorie générale est confirmée par
l'examen particulier de la situation du fonctionnaire. Com-
ment ne pas être contraint d'avouer que c'est une situation
d'état? Outre que l'ensemble des fonctionnaires fait par-
tie de l'organisme même de l'État, ce qui déjà crée un
singulier préjugé, on voit bien que la condition du
fonctionnaire est purement légale ou réglementaire W et
que dès que sa situation s'affermit par des concessions de
l'administration, on dit justement qu'il lui est constitué
un état, c'est-à-dire une situation d'état, par la propriété
d'un grade, d'une chaire, d'un office, etc. En réalité le
fonctionnaire est dans une situation d'état très complexe :
l°il est dans une situation de gestion, car le mouvement
même des services publics, l'action parallèle qui s'y déploie,
en fait un collaborateur de l'administration, de là découlent
ses droits; 2° il est dans une situation de puissance publi-
que à titre de concessionnaire d'une fonction publique, de
là viennent ses obligations; 3"* ces deux situations d'état
s'amalgament en ce sens que le fonctionnaire, grâce à l'idée
de gestion, finit par acquérir des droits même sur la fonc-
tion concédée.
Non seulement la situation d'état existe à côté du
(1) V. les auteurs cités à la p. 65, note 3. — Cfr. mon Précis de droit
admin., 3® édit., p. 685.
CARACTÈRES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 69
contrat comme fait juridique, non seulement elle est plus
que le contrat ua fait du droit public, mais elle se propage,
elle gagne du terrain à mesure que la vie sociale devient
davantage publique et administrative. N'est-il pas évident
que la situation des masses d'ouvriers ou d'employés des
grandes usines et des grandes compagnies, purement con-
tractuelle au début, évolue de plus en plus vers la régle-
mentation, c'est-à-dire vers la situation d'état? Qu'est-ce
aujourd'hui que l'embauchage d'un ouvrier, si ce n'est la
nomination d'un agent qui se soumet au règlement de l'u-
sine? Et quel est le fondement véritable de toutes ces
institutions nouvelles qui germent dans le champ de l'in-
dustrie, ces caisses de secours, ces assurances contre l'ac-
cident, ces pensions de retraite? Le contrat de louage large-
ment interprété ? Non. Un ordre social nouveau qui se fonde
avec de nouvelles exigences et de nouvelles fonctions, de
multiples concessions des patrons intervenues dans la
marche parallèle d'un troupeau d'hommes, une situation
d'état qui s'établit, un régime légal qui se crée. Certes, de
ce côté-là la situation d'état n'a pas dit son dernier mot et
si je ne m'étais enfermé dans la gestion administrative, si
j'avais pris l'idée de coopération dans toute son accep-
tion et notamment dans son sens économique, j'aurais eu à
montrer que la répartition des bénéfices de l'industrie
entre le patron, le capital et les ouvriers, se fait et doit se
faire comme dans la gestion, par des concessions réitérées
de ceux qui détiennent le pouvoir économique au profil de
ceux qui ne le détiennent pas, concessions amenées par la
force même des choses et par l'action parallèle, non point
par le contrat.
II. Ainsi dans la gestion administrative, l'administration et
l'administré ne sont point associés par le contrat (sauf dans
les hypothèses de gestion formellement contractuelle) ; ils le
sont par l'ordre légal, par l'ensemble de toutes les situations
d'état sur lesquelles repose le fonctionnement des services
publics ; c'est la force des choses et c'est aussi les concessions
70 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
volontaires faites par Tadministration qui les ont mis sur le
pied de la collaboration (cfr. p. 60) . II se présente maintenant
une seconde question dont la solution est d'un intérêt ca-
pital pour les destinées du droit administratif : la situation
de gestion est-elle de droit public ou de droit privé?
Si elle est de droit privé ou si seulement elle incline
vers le droit privé, voilà le droit administratif dans une
singulière posture, à cheval sur le droit public et le droit
privé, relevant du premier par la théorie de la puissance
publique, du second par celle de la gestion; voilà les
plus importantes, les plus fréquentes des opérations admi-
nistratives qui retombent dans le droit privé ; voilà le con-
tentieux administratif réduit, si Ton est logique, au conten-
tieux de Tannulation; voilà que le contentieux de la pleine
juridiction est condamné à disparaître pour faire place
tôt ou tard à un contentieux judiciaire. Voilà, enfin, que la
personnalité privée de l'État et des diverses administra-
tions se développe rapidement, car il y faut rattacher tous
les droits de la gestion s'ils sont purement privés, le droit
d'impôt, le droit d'expropriation, le droit de travaux publics ;
or, la personnalité privée, c'est le Fisc. Confiné jusqu'ici
dans de très humbles emplois, n'ayant à gérer qu'un très
petit domaine privé, le fisc s'impatiente et son ambition
croît dans l'ombre. Dans nos démocraties dépensières dont
la dette grossit, qui, d'autre part, sont menacées par une
ploutocratie grandissante, il sent venir Theure où le pre-
mier des besoins publics sera le besoin d'argent, où l'arme
de la puissance publique, son instrument de défense, sera
l'impôt. Il se prépare pour ce jour dont l'aurore se lève.
Si, d'ici là, l'impôt est détaché de la puissance publique
pour être rattaché au fisc, si des doctrines imprudentes
se propagent, c'en sera fait, le fisc sera le maître, car c'est
lui qui fournira l'impôt et qui l'administrera comme
un domaine privé. Il ne sera plus question de la colla-
boration du contribuable aux dépenses des services pu-
blics, il y aura un domaine fiscal fonctionnant pour lui-
CARACTÈRES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 71
^•
même; il n'y aura plus de contributions, mais des droits
domaniaux. Jusqu'ici la puissance publique a dominé la
finance publique, désormais la finance publique dominera
à son tour. Ce sera le recommencement du Bas-empire
et de la Féodalité. Les éléments de l'organisme fiscal sont
prêts, un simple trait de plume, un décret peut les réunir;
notre énorme ministère des finances n'est jusqu'ici qu'une
expression nominale, il peut devenir une dangereuse réa-
lité vivante; il y a plusieurs régies financières, par un
instinct de préservation politique on les a jusqu'ici main-
tenues divisées, on a entretenu des rivalités, mais qu'on
les groupe au contraire et le fisc naît pourvu d'avance
d'une énergique vitalité W.
Si, au contraire, la situation de gestion reste rattachée
au droit public, le droit administratif conserve le caractère
homogène d'une branche du droit public; le contentieux
administratif de pleine juridiction subsiste; les droits de
gestion continuent à relever de la personnalité de puis-
sance publique, le fisc ne se développe pas. En somme
(1) J'ai plusieurs fois déjà signalé le péril fiscal et l'inconvénient
des doctrines qui hâtent son événement en civilisant le droit admi-
nistratif (V. mon Étude sur le droit administratifs n** 37, Paris, Du-
pont, 1897, et mon Précis j 3® édition, p. 324). C'est une de mes préoccu-
pations et elle serait partagée par beaucoup de gens si les études de
Science des finances étaient plus répandues. Aussi ai-je été heureux de
l'œuvre magistrale que vient de publier M. G. Platon, La démocratie et le
régime fiscal^ Paris, 1899. Les esprits sérieux qui liront ce travail bourré
de faits s'instruiront, ils verront comment sombrent une à une les libertés
publiques dans les démocraties qui savent mal aborder le problème de la
finance publique, qui inclinent trop du côté de l'impôt direct et qui lais-
sent se constituer un fisc ; ils verront par quelle lente décadence le sénat
municipal, l'organe politique, devient la curie, c'est-à-dire l'organe finan-
cier, esclave lui-même de l'impôt. Dans une certaine mesure il y a quel-
que chose de fatal dans cette évolution , l'importance prise par l'argent,
l'augmentation de la dette publique, sont des faits contre lesquels on ne
peut pas complètement réagir . Mais il y a aussi une part de volonté et on
peut toujours bien ne pas laisser se propager des doctrines de droit public
qui seraient de nature à précipiter le mouvement.
72 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
notre droit public français conserve sa physionomie tradi-
tionnelle que nous ne pouvons nous défendre d'aimer.
La puissance publique s'y prodigue peut-être d'une façon
un peu indiscrète; de même qu*un ministre ne saurait
se déplacer sans qu'à toutes les stations les musiques mili-
taires viennent lui donner l'aubade et sans que l'on mo-
bilise tous les fonctionnaires du lieu, de même une pierre
ne saurait être remuée, dans de certaines conditions, sans
que la compétence du conseil de préfecture soit mise en
mouvement. Mais cet étalage de la force executive ne nous
déplait pas et au fond nous nous disons avec quelque raison
que plus la puissance publique se montre, moins elle est
dangereuse pour la véritable liberté.
Je compte examiner la question du caractère public
de la gestion administrative dans son principe et ensuite
dans son corollaire du contentieux administratif de pleine
juridiction.
A. La question de principe se ramène à celle-ci : dans la
gestion administrative subsiste-t-il de la puissance publi-
que? Si, en effet, il en subsiste, il devient malaisé de faire
glisser la gestion dans le droit privé.
Si nous envisageons la puissance publique comme la
force même qui actionne les services publics, et il est diffi-
cile de nier la réalité de cette conception quand on voit
tous les fonctionnaires, tous les citoyens chargés d'un mi-
nistère de service public, considérés comme des dépositaires
d'une parcelle de la puissance publique W, il est évident
que cette force subsiste dans le fonctionnement des servi-
ces. Une force a deux états, l'état de puissance et l'état de
. (1) Il faut consulter ici la théorie du conflit qui protège tous les agents
du gouvernement quand ils sont poursuivis personnellement pour fait dom-
mageable commis dans le service ; ou encore la théorie de l'outrage ou de
la diffamation envers les fonctionnaires publifîs (V. une note de M. Roux
dans Sire}', 1897, 1, 473) : et enfin la théorie de la délégation de la puis-
sance publique et de la procuration d'action (V. Macarel, Trib, adm.y p.
14 et s.; E. Laferrière, Jur, adm,, 2® édit., t. IT, p. 500 et s.).
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 73
mouvement ou de travail, mais elle est une force aussi
bien dans le travail que dans l'état de puissance. Il
ne faut pas que Texpression « puissance publique »
nous égare, la puissance publique c'est aussi le pouvoir
exécutif appliqué au fonctionnement des services pu-
blics, par conséquent elle existe non seulement dans les
actes d'autorité qui correspondent à la situation de repos
ou de « puissance » proprement dite, mais aussi dans les
actes de gestion qui correspondent au mouvement et à Texé-
cution, L'énergie de la puissance executive se fait sentir
ainsi dans tous les services, même dans ceux qui ne diffè-
rent point par leur objet de certaines gérances privées.
Dès qu'une industrie privée est transformée en service pu-
blic, la puissance publique y apparaît (i).
D'ailleurs, il est un artifice qui révèle immédiatement la
puissance publique dans la gestion. Il consiste à se de-
mander en vertu de quels droits l'administration accomplit
les opérations de gestion ; on est obligé de confesser que
c'est en vertu de droits de puissance publique, c'est-à-dire
de droits exorbitants de la vie privée. L'opération de per-
ception des contributions est de gestion (p. 23), le droit
d'impôt est de puissance publique; l'opération de travaux
public est de gestion (v. p. 28), le droit de travaux pu-
blics est de puissance publique, il ne saurait dépendre
d'une volonté privée de décider la création d'une route ou
d'un chemin de fer devant entraîner des expropriations,
des occupations temporaires, et payable sur les deniers
publics; même les opérations dont le contentieux a été
(1) J'avais été amené dans des études précédentes à tenter une dis-
tinction entre les divers services administratifs au point de vue du degré
de puissance publique qu'ils contiennent et j'avais cru que certains servi-
ces n'en contenaient pas du tout, celui des colis postaux par exemple
(Sirey, 93, III, 17 ; 96. III, 113 ; Précis, 3« édit., p. 237). Je renonce à
cette, opinion. Une décision récente du conseil d'Etat me paraît tout à
fait dans le sens de la proposition avancée au texte (C. E. 20 mai 1898
Gaillarde, Rev, d'administration, 1898, II, 394).
74 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
altribué par des textes aux tribunaux judiciaires, restent
Texercice de droits de puissance publique; il est clair, par
exemple, que le droit d'expropriation est de puissance pu-
blique, que le droit de lever Fimpôt indirect n'est pas moins
de puissance publique que celui de lever Timpôt direct.
Or, par quelle transformation magique Fexercice d'un droit
de puissance publique serait-il ramené à n'être qu'un
acte de la vie privée? La logique demande impérieu-
sement que s'il y a de la puissance publique dans le
droit, il y en ait aussi dans l'acte ou dans l'opération par
lesquels le droit est exercé, car un droit ne peut poiat
changer de nature par cela même qu'il est exercé.
Serait-ce la nature même de l'opération par laquelle le
droit est exercé qui aurait cette vertu de dénaturer son
caractère? On l'a insinué à propos des actes de gestion
contractuels; on a dit que dans le contrat la puissance
publique acceptait la loi de l'égalité, qu'elle dépouillait par
là même son caractère impérieux de puissance publique,
qu'elle devenait comparable à une volonté privée. Ces
assertions ne sont pas exactes. En droit, il n'est pas indis-
pensable que deux contractants soient sur pied d'égalité;
la précaire conclue entre l'homme puissant et l'humble
qui se recommandait était un contrat. Les situations con-
tractuelles peuvent tendre vers l'égalité, elles ne Timpli-
quent pas nécessairement à leur base. Le contrat est fondé
sur le consentement, or on peut consentir à être inférieur
et inégal, si les lois ne l'interdisaient, le contrat d'escla-
vage serait possible. En fait, dans les contrats administra-
tifs passés pour la gestion des services publics l'adminis-
tration ne traite pas sur pied d'égalité, elle se réserve des
privilèges. Outre le privilège de juridiction, faut-il rap-
peler tous ceux que peut invoquer l'état créancier où l'état
débiteur, faut-il rappeler qu'en principe les décisions
administratives dans les relations de l'État et de ses en-
trepreneurs et fournisseurs ont la même vertu que des déci-
sions juridictionnelles pour les résiliations et la mise en
CARACTÈRES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 73
régie? Que tout contrat passé pour les services publics de
rÉtat s'exécute par des décisions administratives et que ces
décisions ont le privilège ordinaire de l'exécution provi-
soire ? Qu'elles permettent toujours à Fadministration d'aller
unilatéralement jusqu'au bout de son droit et qu'elles im-
posent au cocontractant qui veut réclamer, l'obligation de
prendre le rôle de demandeur? Qu'en un mot l'adminis-
tralioDt conserve toujours le privilège du préalable qui est
l'attribut essentiel de la puissance publique? 11 ne faut pas
s'en tenir à la façade quand on examine les contrats ad-
ministratifs, il faut pénétrer dans le détail intérieur; pour
le marché de travaux publics par exemple, il faut étudier
le cahier des clauses et conditions générales et se rendre
compte de la situation subordonnée qu'il fait à l'entre-
preneur.
Donc, même dans les actes de gestion contractuels, il
n'y a pas la situation d'égalité qui est le propre de la vie
privée, il s'y manifeste au contraire une inégalité et une
subordination qui sont la caractéristique de la puissance
publique. Et puis les contrats administratifs ne sont pas le
type de l'acte de gestion, ils en sont au contraire la limite,
il y a des actes pécuniaires unilatéraux comme la liquida-
tion de dettes ou l'arrêté de débet, des actes de gestion for-
cée comme la réquisition ou Toccupation temporaire, des
actes de gestion officieuse, comme l'élection ou l'autorisa-
tion d'établissements dangereux, où véritablement la puis-
sance publique s'affirme.
En réalité, si nous revenons à l'idée de la collaboration,
nous comprenons parfaitement la situation ; la puissance
publique collabore avec certains administrés à la gestion
du service public, si elle collabore c'est donc qu'elle con-
tinue d'être; elle est liée en partie par la collaboration et
par les concessions que celle-ci entraîne, il se crée là un
état de société spécial qui pour n'être pas contractuel n'en
engendre pas moins des effets juridiques, mais de ce que
la puissance publique est liée, il ne s'ensuit pas qu'elle
76 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
soit anéantie, ni même qu'elle soit ramenée au degré d'une
volonté privée. La collaboration, contractuelle ou non,
n'implique pas forcément égalité. Il y a collaboration en-
tre le maître et le domestique, entre le maître et le disci-
ple, il n'en subsiste pas moins une autorité magistrale; il
y a collaboration entre les époux, entre le père et les en-
fants, il n'en subsiste pas moins une autorité paternelle ou
maritale; il y a collaboration entre le patron et les ou-
vriers, il n'en subsiste pas moins une autorité patronale.
Ainsi en est-il de la puissance publique dans l'entreprise
coopérative des services publics, elle accepte des concours
et des dévouements, elle a des auxiliaires et des serviteurs,
elle n'abdique pas pour cela la maîtrise ; elle reste un patron
qui impose son droit en même temps que sa volonté.
Il n'y a qu'une limite au caractère public des opérations
par lesquelles s'exécutent les services administratifs, c'est
quand l'administration, au lieu de poursuivre directement
raccomplissement du service public par la voie de la ges-
tion, pourvoit à son domaine privé. Alors même qu'ensuite
le domaine privé devrait contribuer au service, le fait que
la propriété privée est intervenue détruit le caractère pu-
blic de l'opération. La limite de la gestion publique est
donc l'administration du domaine privé, c'est-à-dire l'ad-
ministration fiscale. On a (Contesté cependant qu'il y ait
cette différence du fond entre l'acte de gestion et l'acte
de personne privée; ou on fait remarquer que l'admi-
nistration du domaine privé comporte elle-même une
certaine intervention de la puissance publique puis-
qu'elle suppose des actes d'autorité émanant des corps
délibérants (1). Si cette apparition de la puissance publique
ne suffit pas à dénaturer l'opération de personne privée,
(1) A. Mestre, De Vautorité compétente pour déclarer VEtat débiteur,
Paris, Rousseau, 1899, p. 46. En effet si une maison appartenant à une
commune doit être affermée, il interviendra d'abord une décision de prin-
cipe du Conseil municipal (Cfr. mon PréciSj 3^ édit., p. 802).
CARACTÈRES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE. 77
pourquoi suffirait-elle à dénaturer celle de gestion et, à en
faire une opération publique? Les hypothèses sont très
différentes. Il faut distinguer en administration des déci-
sions de principe et des décisions d'exécution. Les déci-
sions de principe sont toujours des actes d'autorité. On
dirait que la puissance publique s'y trace un programme
à elle-même avant de passer à l'exécution, Tadministration
du domaine privé ne fait pas exception à la règle, les dé-
cisions de principe y sont des actes d'autorité tout comme
dans l'administration des services publics. Par là se mar-
quent à la fois l'unité fondamentale de la personne admi-
nistrative et la suprématie de la puissance publique. C'est
ensuite, dans les mesures d'exécution, que va se manifester
la dififérence entre l'acte de gestion et l'acte de personne
privée. Tous les deux sont des mesures d'exécution {*);
seulement Tacte de gestion est un acte d'exécution dans
lequel il subsiste de la puissance publique, l'acte de per-
sonne privée, un acte d'exécution dans lequel il n'en sub-
siste point (2). Ce qu'il y a de particulier dans la gestion,
c'est donc que la puissance publique y participe à l'exécu-
tion de ses propres décisions.
B. L'établissement d'une théorie raisonnée de la gestion,
l'assurance que le recours contentieux ordinaire y trouve
une source de développement spontané, la conviction ac-
quise que les situations de gestion relèvent du droit, public
et qu'il y subsiste de la puissance publique à l'état de col-
laboration, tous ces résultats acquis nous conduisent
maintenant à une conséquence finale qui est la réorganisa-
tion du contentieux administratif français. — Je parle, bien
entendu, du contentieux de la pleine juridiction, car celui
de l'annulation se trouve dans une belle période de pro-
(1) Cfr. mon Précis, p. 289.
(2) J*espère qu'on ne verra pas de contradiction entre cette affirmation
et cette autre qu'il y a de la puissance publique dans tous les services pu-
blics (p. 73), puisque justement l'acte de pei^sonne privée n'est pas fait en
vue d'un service public, mais en vue du domaine privé.
i_. .JL
78 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
grès. — Il n'eo est pas de même du contentieux de la
pleine juridiction qui cependant est le contentieux fonda-
mental, il est en désarroi. Les nouvelles générations gui
arrivent au droit administratif apportent de plus en plus îe
goût des théories simples et logiques, ce qui est fort loua-
ble ; or, en abordant le contentieux ordinaire, elles ne con-
statent que confusion; elles se trouvent en présence d'uQ
amas de règles incohérentes sans aucun principe directeur,
elles ont perdu la tradition qui les faisait accepter, elles
prennent le parti de les répudier en bloc ; elles se montrent
disposées à nier le contentieux ordinaire et à repousser
toutes les matières administratives vers la compétence judi-
ciaire. Si personne n'arrête la déroute, c'en est fini d'une
institution qui pourtant remonte aux premières origines de
la centralisation française, qui, par conséquent, doit corres-
pondre à quelque nécessité des organisations centralisées
en même temps qu'à des particularités de notre tempéra-
ment national.
Les principales causes de la confusion au milieu de la^
quelle on se débat me paraissent être les suivantes : l°4a
croyance où l'on a été dans ces dernières années que le re-
cours contentieux ordinaire n'ayant point de source spon-
tanée, il n'y avait pas de contentieux de nature, mais seu-
lement des déterminations faites par les textes un peu au
hasard ; 2° les incertitudes sur la véritable interprétation à
donner au principe de la séparation des pouvoirs qui depuis
la Révolution est devenu la base positive de l'institution
d'une juridiction administrative. D'une part, quel est le
pouvoir administratif qu'il s'agit de protéger contre les em-
piétements du pouvoir judiciaire, dans quels actes se ma-
nifeste-t-il? Est-ce dans toute espèce d'acte administratif
ou seulement dans certains? Se manifeste-t-il notamment
dans les actes de gestion? D'autre part, le principe de la
séparation des pouvoirs ne doit-il pas être entendu dans
un sens bilatéral, comme protégeant aussi l'indépendance
de l'autorité judiciaire et lui réservant une sphère d'action
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION
à titre de gardienne des droits privés'
jiistemeat lui réserver les matières de ^
A ces causes de trouble tout intimi
d'autres qui proviennent du dehors. P
savoir ce que pensent les étrangers di
administratif. Or, toutes les appr^ciatioj
ralives comme celle de M. Franck Goo
qui d'ailleurs ne visait que notre recouri
voir ('). Dans un article sur les conseils
Justice administrative, M. Michoud a
sévères d'auteurs allemands tels que S
Cîumplowicz, Schulze Ucevernitz (2), B
sure que nous prenons connaissanc
de la juridiction administrative dans
nous devenons moins sûrs des quali
Toutes ces constatations nous désorient
tons plus, comme au commencement c
d'un contentieux administratif, si nous :
posés à attaquer l'iastitution du consi
celle des conseilsdepréfeclure.du moin
malaise et nous éprouvons le besoin
livre comme celui de M. Jacquelin sur
nants dit contentieux administratif (*),
qui aboutit à cette conclusion qu'il n'y
est le symptôme d'une crise grave à
de porter remède.
11 faut que la doctrine française se
une théorie du contentieux. Or, à mon
ministrative doit être l'axe de cette thé(
rendu la croyance en l'existence d'une !
(1) The executive and the courts : political ■.
657 et 8., cité par M. Laferrière, I-X.
(2) Revue politique etparlementaire, 1897, p. i
(3) V. LaferriÈre, la juridiction adminiatratiV'
op. cit.; Barthélémy, Les droits subjectif» de» ada
(4) Paris, 1899. V. not. p. 107, p. 143, p. 162.
80 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
recours contentieux ordinaire, ce qui est un point capital ;
elle va de même nous permettre de déterminer le domaine
propre de la compétence administrative et celui de la com-
pétence judiciaire.
1** Si Ton veut une règle simple pour déterminer le do-
maine de la compétence administrative dans les matières
de gestion, il faut aller jusqu'à cette affirmation que toutes
ces matières relèvent en principe de la compétence admi-
nistrative, M. Aucoc a constaté cette nécessité (^). Mais une
pareille proposition va à rencontre de la tendance ac-
tuelle qui est au contraire d'abandonner en principe les
matières de gestion au contentieux judiciaire, toutes les
fois qu'on n'en est pas empêché par un texte (2); elle a
donc besoin d'être fortement établie. La théorie de la
gestion fournil deux arguments que je crois topiques :
a] Si, vraiment, la gestion se ramène à une sorte de col-
(1) Conféi^ences sur le droit administraiif^ 1885, I, p. 485 : « la ques-
tion aurait pu être résolue d'une manière très simple, très logique et
peut être conforme à la pensée qui inspirait l'assemblée constituante de
1789. On aurait pu dire que tout acte fait par l'autorité administrative,
comme puissance publique, en vue de la gestion d'un service public, ne
peut être discuté que devant la juridiction administrative. En effet, ce
que l'Assemblée constituante a voulu, en posant le principe de la sépara-
tion des pouvoirs, c'est qu'un service public ne put pas être entravé par
l'intervention de l'autorité judiciaire. On n'aurait ainsi renvoyé à cette au-
torité, dans h silence des textes, que les difficultés relatives aux actes où
l'administration figure comme propriétaire, dans les mêmes conditions
<iue les simples particuliers et pour lesquels elle se conforme aux règles
du droit civil. Mais cette pensée, qui semble avoir été à diverses reprises
celle du conseil d'Etat jusqu'à une époque encore peu éloignée, n'a pas
■complètement prévalu. »
« On peut voir une partie des fluctuations de la jurisprudence du con-
seil d'Etat dans un savant travail de M. Boulatignier sur les baux admi-
nistratifs qui remonte à 1847. — C'est un des articles du Dictionnaire gé-
néral d'admiîiistration, publié sous la direction de M. Alfred Blanche. j>
(2) Ce ne sont pas seulement les nouvelles recmes du droit administra-
tif qui poussent à la désertion du contentieux oi^dinaire, ce sont aussi des
vétérans comme M. Laferrière, et on a le droit de s'en montrer surpris,
Traité de la juridiction admin., 2® édit., t. I, p. 8.
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADHI]
laboration établie eolre radininistralion e
cette forme originale de société, les praliqu
duisent, justifient par elles-mêmes la com
juridiction spéciale, car, en général, une fori
de société entraîne une forme correspondant!
(V. p. 49) ;
b) Si, maintenant, nous nous plaçons su
la séparation des pouvoirs et de l'interprétai
sitives qui en ont établi le principe, nous ai
mander si ces lois ont voulu proléger seul
sance publique au repos, ou si elles ont en
ger aussi dans son mouvement, dans son Irav
des services publics. Dans la seconde hypo
tières de gestion relèvent de la compétence i
car les actes et les opérations de gestion coi
ment l'exécution des services publics et nou!
puissance publique y est subsistante, que l
qu'elle a acceptée ne lui enlève point tout
Or, le texte fondamental qui établit le princ
ration des pouvoirs ne laisse aucun doute sur
législateur : « Les juges ne pourront à peir
« troubler, de quelque manière que ce s<
« fions des corps administratifs... » (loi des It
titre 11, art. 3). Les opérations des corps adi
ne sont pas seulement les actes de puissance
prement dits, ce sont les actes d'exécution, f
de gestion. Et l'on sait bien, d'ailleurs, que
tion des Constituants était d'assurer le fonct
services, d'empêcher que le pouvoir judiciaii
marche des services. — Voilà un texte don
de se débarrasser à moins que l'on n'avoue fri
désormais le principe de la séparation des
sur notre droit public en dehors de toute e
Je comprends que l'on ait affaibli la porté
16 fructidor an TU : « défenses itératives s
« tribunaux de connaître des actes d'adn
82 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
« quelque espèce qu'ils soient ». Parmi les actes d'admi-
nistration il y a les actes relatifs au domaine privé qui^
évidemment, ne comportent pas de puissance publique
(encore pourrait-on se demander si ce sont bien des actes
d'administration et s'il ne conviendrait pas de les écarter
parce qu'ils n'en sont pas, sans porter atteinte par consé-
quent à la loi de fructidor an III). Mais affaiblir la portée
d'un texte qui parle des opérations des corps administratifs j
cela n'est pas permis (*).
Ainsi, quand nous prenons la gestion dans son sens très
juridique de collaboration, elle justifie la compétence ad-
ministrative par des raisons tirées de l'histoire du droit,
quand nous la prenons dans son sens politique d'exécution
du service public, elle la justifie par la signification politi-
que du principe de la séparation des pouvoirs.
Il n'y a pas lieu de s'arrêter à celte objection de sentiment
qu'il serait fâcheux de renforcer la compétence adminis-
trative, qu'il vaudrait mieux au contraire développer la
compétence judiciaire. Je renvoie aux excellents plaidoyers
qui ont été faits dans ces derniers temps en faveur de la
juridiction administrative (2). J'ajoute qu'il importe peu que
celle-ci ait ou non beaucoup d'affaires, que les seules ré-
formes importantes sont : 1** des règles de compétence
simples; 2** une bonne organisation de la juridiction (3).
(1) La constitution du 3 sept. 1792, art. 3, ch. V, tit. III, vise elle
aussi évidemment les opérations d'exécution : « les tribunaux ne peuvent
c entreprendre sur les fonctions administratives ou citer devant eux les
« administrateurs pour raison de leurs fonctions d.
(2) Laf errière, Trai^ ffe la juridiction admimstrativey^^ëdii.^ préface et
livre préliminaire ; Michoud, Les conseils de. préfecture, op, cit.; Dareste^
La justice administraUve^ 2® édit., 1898 ; Aucoc, La justice administrative,
annales des sciences politiques, 15 nov. 1898.
(3) A ce point de vue, contrairement aux conclusions de M. Jacquelin
dans ses principes dominants du contentieux administratifs p. 167 et s., je
persiste à croire que la confusion partielle qui existe chez nous entre l'ad-
ministration consultative et la juridiction est un principe excellent. Quand
on allègue qu'elle risque d'aboutir ce à la négation du droit i> (Eod,, p.
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADUINISTI
Il n'y a pas lieu non plus de s'embarrasser des
ses esceptioQs que consacrent les textes. Une d<
tîonnelle fortement établie a toujours raison de:
justifiables, elle en amène la modification.
2° Reste à déterminer le domaine de la comj:
diciaire. M. Laferrière a posé le principe d'une :
tion bilatérale delà séparation des pouvoirs; il
que l'autorité judiciaire avait, elle aussi, son inde
son compartiment réservé, qu'elle était la gardiei
lains droits de l'individu qui s'opposent comme u
l'action de ta puissance publique. J'accepte ces d<
je trouve très justes et j'espère que les idées
Toccasion de cette théorie de la gestion vont noi
tre de les organiser d'une manière satisfaisante '
Il faut partir de là que la compétence jud
destinée à protéger un pouvoir privé, de mèr
172), j'imagine qu'on fait ans confouon : k la négation d
pent-être, mais pa« & celle du droit administratif. Au contra
tère mixte de cette joridictioD est un gage de l'évolution p
droit administratif, j'en ai déjà donné ailleurs la raison, c'ea
administratif ne peut guère progresser que par des concese
ministration et qne notre juridiction administrative facilite
sioDB, cai elle est dans une certaine mesure l'administratioi
elle eel c l'instrument naturel des concessions, des abandot
lèges administratifs » cela est frai dans la théorie du recoa:
de pouvoir et ne l'est pas moins dans celle de la gestion (Cfr
3'édit..p.838).
(1) Laferrière, op. ck, I, p. 471 et â.; 5U et s.; 11,538; D
de droit adminUtratif,V édit-, II, p. 13. Les formules par
anteurs ont eeayé de précisser le principe sont restées trop i
là ont donné prise à des critiques. M. Dncrocq allègue que «
a. diciaire est à la fois gardienne du droit de propriété et de I
s la liberté et de l'état de personnes s ; M. Laferrière fait une
des qnesfionB d'état, des questions de propriété, des quesdt
individuels qui n'est point bien convaincante. L'idée généri
n'a pas été trouvée. V. pour les critiques : Brémond, Comj)
nittrative, n" 253 ; Jacquelin, Principes da eontentieux, p. 97 1
lemy. Le» droits eulyecti/s de» administrée, p. 84 et s.
84 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
compétence administrative est destinée à protéger la puis-
sance publique. L'autorité judiciaire ne saurait être
comptée comme un pouvoir dans TÉtat si elle n'a pas der-
rière elle une force dont elle est l*organe et l'expression . Si
les tribunaux administratifs ont derrière eux toute la puis-
sance publique, il faut bien admettre que l'autorité judi-
ciaire a derrière elle toute la force des intérêts privés des
administrés et que c'est au nom de cette force qu'elle de-
mande un certain partage du contentieux. Reste à savoir
quelle est la forme sous laquelle se présente ce pouvoir des
intérêts privés, sous laquelle il afifronte la puissance publi-
que et lui tient tête, sous laquelle par conséquent il reven-
dique la compétence judiciaire.
A mon avis, c'est la forme propriété. Les droits indivi-
duels des administrés réalisent leur maximum de résis-
tance à l'action de la puissance publique en tant qu'ils
atteignent la forme d'un droit de propriété sur un objet.
Peu importe d'ailleurs l'espèce de cette propriété, qu'elle
soit immobilière ou mobilière, que son objet soit corporel
ou incorporel; que ce soit la propriété d'une maison, d'un
certain état civil, d'un brevet d'in\ention, d'un journal,
d'un office, etc.; il peut y avoir des nuances et des de-
grés dans la protection (0, mais il se produit toujours ce
fait dont le caractère est vraiment absolu, c'est que tout
conflit sur l'existence même du droit ou sur la valeur juri-
dique des actes de la vie privée qui constituent l'exercice
du droit, forme question préjudicielle et doit être ren-
voyé à l'autorité judiciaire. On est fondé à établir un pa-
rallèle entre le contentieux de l'interprétation des actes
administratifs, entièrement réservé à la compétence admi-
nistrative, et le contentieux de l'existence du droit de pro-
(1) La procédure de rexpropriation ne s'applique qu*à la propriété cor-
porelle immobilière ; les propriétés bâties et souvent les enclos y attenants
jouissent de privilèges, en matière d'application de plans d'alignements, en
matière d'occupation temporaire, en matière de redressements de cours
d'eau, etc. etc.
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION S
priété ou celui des questions d'état ou i;
tation des contrats de droit commun (1). C
conientieiix est relatif ù l'existence et
juridique d'un pouvoir envisagé d'aprèi
tutives propres; or, ces deux coatentieu
ils sont le pendant l'un de l'autre, c'bsi
voir de la propriété privée est l'exact p
sance publique.
Au premier abord, on peut s'étonne
résistance de l'administré vis-à-vis de 1
se trouve pas principalement dans 1
simple, dans tous ces droits individuels j
semble de noire droit public, dans la libi
la liberté du travail, la liberté du comir
l'enseignement, celle de la presse, e
plutôt dans les propriétés spéciales engt
vers modes de la libre activité. Pourqu
liberté du travail est-elle moins protéj
contre les entreprises administratives qi
dustrielle ou la propriété littéraire m
(1) Il n'y a, je croie, aucune difliculté à conei
tituant l'état d«9 personnes ou la capacité con
fonnes de propriété. La liberté civile n'est-ella pa
Boi-mÈme ? La capacité n'est-elle point la proprîét
BOnnalité juridique ou de te! droit? ne dit-on pa6
qu'elles possèdent ou ne possèdent pas ia persoDi
donte il paraît singulier que la personnalité jurii
puisHe être considérée comme objet d'un droit de p
pend des points de vue et le Droit est plein de ces
à plus forte raison le domicile apparaît-il comme ui
pour ce qui est des contrats ou des obligations de
civil lui-même les rapporte à la propriété, il en fai
ou des modes d'exercer la propriété : Cfr. sur ce
l'infiuence exercée par les ImtitiiUa en matière de
Revue critique, 1887, in Jim.
(2) Le préjudice causé par une atteinte à une lil
sagée en elle-même ne peut jamais donner lieu f>
théorie administrative des dommages ou des préjud
86 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
pourquoi la liberté de la presse n'a-t-elle été vraiment
garantie que lorsque le journal créé en vertu de cette li-
berté et devenu objet de propriété, n'a plus pu être sup-
primé par voie administrative (*)?
A la réflexion on perçoit la raison, c'est que réellement
en un objet de propriété le droit acquiert son maximum
de force par cela même qu'il se concentre en une chose et
se retire des relations humaines qui ne font que le limiter:
c'est que la propriété est par elle-même un accumulateur
du droit et du pouvoir (2).
On n'applique généralement ces observations qu'à la
propriété née de l'occupation du sol ou de la possession
des meubles, on ne songe pas assez que d'autres formes
d'activité constituant l'exercice d'autres libertés peuvent
aboutir à cette accumulation de pouvoir en des propriétés
spéciales.
En somme, et sans avoir à poursuivre plus loin cette
analyse, la forme propriété lorsque des droits peuvent
la revêtir est la plus absolue de toutes et par consé-
quent celle qui renferme le plus de pouvoir. Son pouvoir
se manifeste dans les relations privées, il s'affirme aussi
à rencontre de la puissance publique. L'histoire nous en-
seigne que dans l'organisation politique la propriété privée
est l'éternel partenaire de la puissance publique; qu'il n'y
a guère que deux formes politiques essentielles, du jour
tion des services publics qui entraîne compétence administrative ; tandis
que l'atteinte à une propriété caractérisée peut donner lieu directement à
une indemnité demandée aux tribunaux civils, spécialement l'atteinte
portée à une propriété industrielle donne action devant le tribunal civil
(C. E. 31 juillet 1896, Carré). V. infrà,
(1) On sait qu'un journal ne peut plus être supprimé que sous le régime
de l'état de siège, par application de la loi du 9 août 1849, art. 9, § 4.
(2) On pourrait invoquer des considérations dynamiques dont je m'abs-
tiens ici : dans la propriété il y a une force qui, après avoir été à Tétat de
mouvement, engagée dans un travail, se reconstitue à Vétat de puissance^
brise les liens qui provenaient de la coopération inhérente à tout travail et
devient par là absolue.
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ;
OÙ les hommes sont arrivés à la propriél
féodale où la propriété est unie au po
forme de l'Étal puissance publique où i
La propriété privée sous ses formes mult
en face de la puissaace publique, elles
l'autre pôle du monde administratif, c
s'affronter; cette société, que l'admia
avec l'administré, d'où vont découler
diques et naître des contentieux, nous d<
comme établie surtout entre la puissan
part et, d'autre part, l'administré propri
Toutefois, comment l'autorité judici
obtenir quelque compétence dès qu'il y
blis entre la puissance publique et la pr
soient des rapports de puissance publiqu
ou des rapports de gestion, qu'il s'agisse <
sinage ou de relations de collaboration, i
contentieux ne se crée que par un acte (
qu'il faut attaquer par un recours por
administratif, un acte que l'autorité juc
péteote pour apprécier, et dont il lui est
l'exécution (3). Dès lors, dans quels cas
judiciaire sera-t-elle saisie? Il y en a tro
(1) Si l'on explorait méthodiquement les matièr
de rechercher les droits contenue dans la Police, c
blique a le droit de commander on d'interdire, on c<
l'arbitraire n'a été sérieusement combattu que da
police qui concerneat la propriété (Cpr, notes dant
3.1). D'autre part, lea lois administratiTes tendent
plue la propriété, la loi de 1892 sar l'occapation
1898 sur le régime doB eaux sont remarquables à ce
(2) Il ne s'agit plus ici du contentieux dee ques
la propriél^ est envisagée dans ses éléments conatit
de ses rapports avec l'administrai ion.
(3) Même à l'enconfre de la propriété, les mesur
la puissance publique doivent s'exécnter, à la condi
gales, alors même qu'elles entraîneraient une dépo
sauf aux intéressés à faire valoir au fond leoxs di
88 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
a) D'abord, si des mesures d'apparence administrative
sont totalement illégales parce qu'elles ne font pas partie
des procédures régulières et si elles ont porté atteinte
à la propriété, il y a voie de fait; l'autorité judiciaire est
compétente pour restituer la propriété dans ses droits et
allouer des iodemoités s'il y a lieu (conflits, 2 juillet 1898,
Trani)y et même pour empêcher la voie de fait par une dé-
cision en référé (conflits, 28 janvier 1899, maire de Péri-
gueux, Rev. d'adm., 99, 1, 429); dans cette hypothèse donc
l'opération peut être entravée. La voie de fait existe dans
deux séries de cas : 1* si l'acte a été accompli par un agent
qui n'avait pas délégation régulière de la puissance publi-
que, qui avait usurpé ses fonctions; 2^* si l'acte, quoique
accompli par un agent administratif, est en dehors
des procédures légales de l'administration ; par exemple,
si au lieu d'employer la procédure légale de l'expropria-
tion, ou bien cette autre procédure légale de la démolition
du bâtiment menaçant ruine, un maire faisait purement et
simplement démolir un bâtiment pour élargir une rue; ou
bien si un entrepreneur de travaux publics départementaux
commençait à construire sur la place publique d'une ville
sans qu'il y ait eu entente amiable ou expropriation (es-
pèce de la décision maire de PérigueuxW),
vaint les tribunaux judiciaires après que la mesure aura été exécutée pour se
faire réintégrer dans leurs droits. Ainsi l'autorité judiciaire ne peut pas,
par la voie du référé, maintenir ou rétablir en possession provisoire d'un
local l'occupant expulsé par voie administrative, alors même qu'il invo-
querait un droit de propriété, d'usufruit ou d'habitation. La mesure ad-
ministrative doit avoir le bénéfice de l'exécution provisoire.
Ces principes ont été établis par le tribunal des conflits, tant à l'occa-
sion de l'exécution des décrets du 29 mars 1880 (conflits, 5 nov. 1880, Mar-
quigny (1"» espèce), Bouffier (2e espèce) ; qu'à l'occasion des laïcisations
d'écoles publiques (conflits 14 janv. 1880,/rére« de Brignoles : frères d'A-
lais; 13 janv. 1883, Sœurs de la charité', 14avr. 1883, Sœurs de la ProvU
dence; 12 avr. 1889, frères des écoles chrétiennes; 26 mars 1898, école de
filles de Saint'Donan, Cfr. note dans Sirey, 1899, III, 33.
(1) Ainsi l'illégalité contenue dans la voie de fait se distingue de celle
qui est contenue dans l'excès de pouvoir en ce que, dans le premier cas,
CARACTERES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMII
b) En second lieu, si des procédures légale
(ration visant l'exécution d'un service pubi
directement la dépossession d'un objet de
cependant en fait et accessoirement entraîné
sion provisoire, après l'exécution de la mesure
peuvent demander à l'autorité judiciaire la
dans leur possession et dans leurs droits et i
demnité s'il y a lieu W. Ici le bénéfice de l'es
soire appartient à la puissance publique, mai
prend sa revanche immédiatement après et S'
dans ses droits. On peut appeler cette théoi
dépossession provisoire indirecte ^^\
c) Enfin, si d'une procédure légale de l'a
il résulte directement ou indirectement une
c'est-à-dire une dépossession définitive du pro
attribution des avantages de la propriété à l'ai
le fait de l'expropriation suffit à rendre l'autc
l'adminiatratiott commet l'illégalité d'agir en dehors de
aacréeB, tandis que dans le second cas elle commet dsE i
agissant par les piocéduies consacrées. Dana le pren
n'y a pas procédure administrative, c'est-à-dire en bod
ministrative, il y a compétence judiciaire ; dans le sect
procédure administrative, il y a compétence administrât
Je crois cette définition de la voie de ie\t par la pro
à celle que M. Laferrière a eeaayé de donner par la na
cit. I, p. 479) et qui prête beaucoupàla critique (V. Ba
p. 87),
(1) V. les décieions citées à la note 3 de la p. 87.
(2) Il faut, pour que cette théorie puisse être invo
procédure de l'administration ait été légale ; si elle
illégale on letomberait dans la théorie de la voie
la meBure administrative n'ait entraîné qu'une dépoBseei:
la dépoflseesion était définitive on tomberait dans la théo'
tion directe ou indirecte ; 3° que la dépossession prov
elle-même le but directement poursuivi par l'adminietrati
ou bien elle est nne opération légale et connue, com
l'occupation temporaire en matière de travaux publics, oi
talement illégale et constitue une voie de fait.
90 I.A GESTION ADMINISTRATIVE.
compétente, non plus pour prononcer la restitution de la
propriété, car on est en présence de l'irréparable, mais pour
statuer sur une indemnité d'expropriation.
Le point de départ de la théorie de l'expropriation di-
recte ou indirecte se trouve dans la réglementation nou-
velle de l'expropriation pour cause d'utilité publique éta-
blie d'après les principes révolutionnaires. On peut dire que
la propriété privée a fait, elle aussi, sa révolution et qu'elle
a obtenu sa charte. Ce n'est que la loi du 8 mars 1810 qui
a formulé la règle de la compétence judiciaire pour le con-
tentieux de l'expropriation et l'on sait que la procédure de
l'opération n'a été définitivement fixée que par la loi du 3
mai 1841, mais dès l'art. 17 de la déclaration des droits an-
nexée à la constitution des 3-14 septembre 1791, le prin-
cipe était virtuellement posé. Du jour où il fut proclamé
ceci : « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul
« ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité pu-
« blique légalement constatée l'exige évidemment et sous
« la condition d'une juste et préalable indemnité », de ce
jour-là, l'expropriation cessa d'être une opération de ges-
tion administrative ; elle ne fut plus envisagée par rapport
à l'administration, mais par rapport à la propriété ; il s'o-
péra un renversement des rôles, jusque-là elle avait été
un incident des travaux publics, désormais elle fut une
opération spéciale se suffisant à elle-même et dont l'objet
fut le règlement de la juste et préalable indemnité. Remar-
quons, en effet, que nous sommes en dehors des principes
de la gestion. Dans la gestion le préalable appartient à l'ac-
tion administrative, tant que l'expropriation avait été ma-
tière de gestion, l'indemnité avait été postérieure à la prise
de possession par l'administration. Avec le principe révolu-
tionnaire /<?/>r^a/aô/ie devient la prérogative de la propriété
privée, c'est le paiement de l'indemnité qui doit être préa-
lable à la prise de possession. La situation est l'inverse de
celle de la gestion, elle est essentiellement privée et la com-
pétence judiciaire en découle comme un corollaire naturel.
■É
CIKACTËRES JURIDIQUES DE LA GESTION ADMIN1S1
Ce caractère judiciaire de l'opération n'exisi
a expropriation complète, dépossessioQ dédn
que c'est le seul cas prévu par les textes foH'
c'est le seul aussi où la solution soit logiqui
le propriétaire conserve pour lui quelque uti
(.le sa propriété, on peut interpréter comme ce
d'une collaboration forcée les mutilations oi
tudes que la puissance publique lui impose et
dans le contentieux de la gestion(<). Le seul cai
puisse faire intervenir l'idée de la gestion etdeli
tion est celui où la propriété privée estcomplèter
tie, car là où l'un des collaborateurs est suppri
plus collaboration. Or,n'oublioDS pas que la pro;
véritable pouvoir privé qui collabore avec l'adm
La théorie de l'expropriation, avec la coinpé
ciaire qu'elle entraîne, fut étendue d'abord si
d'expropriation indirecte soit par la loi, soit p
prudence, a une première série d'hypothèses,
d'opérations administratives dont l'effet normal
possession définitive ou bien dans lesquelles la d
définitive résulte d'événements irréparables; t
ces hypothèses il n'existe au profit de l'intére
ment que l'action en indemnité W.
(1) C'est pourquoi le contentieux de l'occupation tempora
de travaux publics et celui des dommages permanente soni
nifltratifa, quoiqu'il y ait eu une grande oontroverse au suje
gea permanents tranchëe par le tribuDal des conflits de 185C
mars 1850, Thomamn).
(2) La théorie de l'expropriation indirecte a été appliqué
l" à la dépossession définitive qui résulte de l'application d(
gnement en eaa d'élargissement de la voie publique ; 2° à
suite des décisions des commissions départementales fixant 1e
chemins vicinaux ; 3' à celle qui résulte en certains cas de !'■
des lignes télégraphiques et téléphoniques ; 4* à celle qui
occupation temporaire en matière de mine») prolongée penda
année. Elle a été étendue par la juriapradence au eau d'un
pore en fait et par erreur 4 un ouvrage public (conflits, 26
92 LA GESTION ADMINISTRATIVE.
Elle a reçu depuis une extension plus originale connue
sous le nom de théorie des recours parallèles. Dans des
hypothèses où des décisions administratives ont été rendues
dont l'effet normal n'est point d'entraîner dépossession dé-
finitive, mais qui en fait ont réalisé une incorporation au
domaine de l'administration, on tend à admettre que l'in-
téressé a le choix ou d'user des moyens que lui offre le
contentieux administratif, soit pour l'annulation de la dé-
cision, soit même pour l'obtention d'indemnités fondées
sur le préjudice, ou de réclamer une indemnité par la voie
judiciaire en se fondant sur la dépossession définitive;
c'est-à-dire que la propriété privée acquerrait ici le droit
suprême de se déclarer elle-même expropriée à sa volonté.
Du moment où l'intéressé opterait pour la voie parallèle
de l'action judiciaire, l'autorité judiciaire deviendrait
compétente pour tous les éléments de l'indemnité et no-
tamment pour apprécier l'opération administrative envi-
sagée uniquement au point de vue de l'indemnité (').
Gasié; 29 juin 1895, SanièreSy cfr. Léchalas, Manuel de droit adm., t. H,
2® partie, p. 159.
(1) On sait que la théorie des recours parallèles est née à Toccasion des
actes de délimitation des rivages de la mer et des fleuves. Je ne raconterai
pas ici les péripéties et les revirements de jurisprudence auxquels elle dut
sa formation (V. Laferrière, op, cit., 1. 1, p. 544 et s.; Mon Précis, 3^ édit.,
p. 656). Elle est admise par le tribunal des conflits depuis déjà un quart
de siècle (conflits, Pâris-Labrosse, 11 janv. 1873 ; Guillé , 1^' mars 1873).
Bien qu'elle ait été attaquée très violemment et qu'elle présente de
réels inconvénients pratiques (Cfr. Léchalas, Manuel de droit adm., t. II,
2® partie, p. 189 et s.), j'estime qu'elle continuera à se développer car elle
répond à un besoin supérieur que M. Laferrière a parfaitement formulé qui
est d'aérer le contentieux administratif, de donner un peu plus de jeu à la
compétence judiciaire. Je sais bien que Tart. 36 de la loi du 8 avril 1898
relatif à la délimitation des fleuves est venu verser un document nouveau
au débat et que, surtout si on l'interprète par les travaux préparatoires,
il semble hostile au recours parallèle. M. H. Berthélemy a vigoureusement
plaidé cette thèse dans un article récent (La question de la délimitation
des fleuves et rivières. Revue générale d'administration, 1899, I, 385 ; en
sens contraire, Bouvier, La délimitation du domaine public fluvial, Revue
CARACTÈRES JURIDIQUES DE l'Â 'GESTION A'DyiÂlStRÂ+lVE. 93
Comme cette théorie est renfermée dans les limites de
l'expropriation et de la dépossession définitive, je n'y vois,
pour ma part, aucun inconvénient théorique O, j'y verrais
critique, 1899, n. 1 et 2), Mais les travaux préparatoires sont facilement
noyés, le texte n'est pas décisif, la jurisprudence me paraît trop engagée
pour reculer. De fait, le tribanal des conflits par une décision du 10 déc.
1898, Gaston, postérieure à la loi du 8 avr. 1898, a persisté dans sa juris-
prudeuce antérieure sur une question de délimitation de terrain bordant
un fleuve (Revue d'adm., 1899. 1. 292) et le conseil d'Etat lui-même est
entré dans la voie du recours parallèle avec une singulière hardiesse dans
le cas d'une atteinte portée à un brevet d'invention par des agissements
de l'administration, c'est-à-dire qu'il a étendu la théorie à la propriété
industrielle (0. E. 31 juill, 1896, Carré). Cette dernière décision est bien
intéiessante ; i considérant que la requête des sieurs Carré tend, en réa-
a lité, & la réparation du préjudice que leur aurait causé le ministre de la
« Guerre en mettant au conconis la fourniture d'accumulateurs de pression
« pour le filtrage de l'eau, d'après un système dont ils seraient les inven-
«. tenrs brevetés. — Considérant, que la décision et les actes déférés au
« Conseil d'État ne font obstatle, ni k ce que les sieurs Carte fassent pro-
a noneer par l'autorité judiciaire sur les droits qu'ils prétendent tenir de
« leur bfevet et sur les conséquences directœ de l'atteinte qui aurait été
«: portée à ces droits ni à ce qu'ils saisissent de leur demande d'indemnité
a le ministre de la Guerre comme étant pécuniairement responsable envers
fl eux des faits et actes accomplis par ces agents en vue d'assurer un ser-
« ïice public... ». Ainsi, deux voies parallèles sont nettement indiquées
qui, cliose remarquable, tendent toutes les deux à l'indemnité : la voie
judiciaire ou l'indemnité sera obtenue comme conséquence directe de l'at-
teinte portée k la propriété industrielle ; la voie du contentieux adminis-
tratif (après que le contentieux aura été créé par une décision du ministre)
où l'indemnité sera obtenue comme conséquence d'un préjudice adminis-
tratif. Jusqu'ici les recours pa II les t P ' même objet, l'action
judiciaire n'existait qu'à c6té d ec rs nt t n annulation; dé-
sormais elle existe è, côté du rs t t d aire et elle peut
avoir le même objet qne lui. L j. llél rt d'abord dans des
matières de puissance publiqu m d d 1 m dères de gestion,
mais elle n'existe toujours qn' d tt t à 1 p p été équivalant à
expropriation.
(1) En efEet, les matières de gestion restent intactes et notamment les
actions en indemnités pour dommages causés par l'administration dans le
fonctionnement des ser\''ice3 publics demeurent acquises à la compétence
administrative toutes les fois qu'il ne s'agit pas d'une indemnité pour la
94 / \ : •- . / TA» (JBSTKîN ADMINISTRATIVE.
plutôt cet avantage qu'elle pose admirablement, dans sa
conséquence ultime, le droit de la propriété privée en face
du droit de la puissance publique.
dépossession définitive d'une propriété (Cfr. Mon Précis, 3* édit., p. 657,
note 1. Adde la note précédente).
FIN.
'"^^ "
TABLE DES MATIERl
Avertissement
g I. La nolion de la gestion administraLJve. . . .
§ 2. La gestion et le contentieux de la pleine jur
§ 3. Les coractères juridiques de la geBlion. . . .
BAR-LE-DUC. — IMPRIMERIE CONTANT-LAGL'ERRE.
^^^Ï^C^ÎT^^^
Page 67, ligne 27, au
rallËle ne lie pas les hoi
établit une confiance ent
Observations. Je euis
de cette correction qui,
d'ëtat. Je la doÎB à M. 1
de publier dans iahevui
Dans cette remarquable
dans sa tbèse sur h la p
à remettre en ëvidence I
ou de bona /ides. Il ten<
Saoce légitime qu'a le
compte, dans le contrat,
tion que par l'intermêd
d'autres ëvéoements qv
la foi jurée du contrat,
fond de la situation d'ël
cher dans le même sen
sur les autres, & se Ber
et que cette confiance t
tions qui résultent de U
J'étais d'avance dane
ici mSme, à la page 12,
l'endroit capital, par un
remercie M. Lévy d'ètr«
: 'T^i'^^ : -- .^;tn^. Ti •■ ■-'■■
. I